Chroniques d'une révolution orpheline // Mohamed El Attar - Leyla Rabih // 2017

Chroniques d’une révolution orpheline // Mohamed El Attar – Leyla Rabih // 2017

Un projet scénique basé sur 3 textes de Mohamed El Attar [Syrie]. 
Textes Mohammad Al Attar // Version française Jumana Al-Yasiri & Leyla-Claire Rabih // Mise en scène Leyla-Claire Rabih // Assistant Philippe Journo // Scénographie et vidéos Jean-Christophe Lanquetin // Son Anouchka Trocker // Assistant son et scénographie Maxime Chudeau //  Collaboration artistique Catherine Boskowitz // Régie générale Antony Dascola // Avec Soleima Arabi, Wissam Arbache, Racha Baroud, Grégoire Tachnakian, Leyla Rabih // Production Luc Paquier, Whoperforms Berlin //
Production Grenier Neuf 2016-2017 // Coproduction Théâtre Dijon Bourgogne // www.grenierneuf.org // Grenier Neuf est soutenu par la Ville de Dijon, la Région Bourgogne, la DRAC Bourgogne et Conseil Général de Côte d’Or // Première, mars 2017 à Choisy le Roi. Voir ICI. Chroniques a été joué à Dijon en mai 2017 [Théâtre en mai], à Anvers en octovre 2017, et en février 2018 à la MC93 Bobigny et Strasbourg, le Maillon, mai 2019.

Une interview de Leyla Rabih

Voir la VIDEO de Youssef est passé par ici.

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Version finale du projet : résidences à Bruxelles [Mucem], Vannes, Mulhouse et Choisy le Roi, février-mars 2017 : d’un public de 100 personnes on passe à un public de 250-300 personnes. Cela change d’échelle mais doit rester le même genre d’intimité

Final version of the project : residencies in Brussels [Mucem], Vannes, Mulhouse and Choisy le Roi, feb-march 2017 : from a 100 people audience to a 250-300 people one. It changes the scale but has to stay the same kind of intimacy.

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Processus

[Présentation publique 28 mai 2016 // Festival Théâtre en mai, Dijon]. Le dispositif se précise. Nous sommes hébergés par le CDN Dijon. -Ils construisent pour la présentation un petit théâtre bi-frontal de 65 places sur scène. La relation intime dont nous avons besoin pour la performance est là. Il devient clair que pour la version finale de ce projet [il sera créé le 17 mars à Choisy le Roy], le défi est de garder une telle intimité et inclusivité à l’œuvre avec un public plus large [250 personnes], tant le projet est sur la relation entre politique de l’histoire et politique de l’intimité dans le contexte actuel de la guerre syrienne en cours, via l’assemblage de 3 textes de Mohamed El Attar avec l’histoire personnelle de Leyla Rabih [son père est syrien et une partie de sa famille vit entre Beyrouth et Alep]. Il est aussi évident que c’est l’aspect inachevé et précaire de la proposition qui émeut les gens, le fait qu’on parle de faire quelque chose qu’on ne peut pas faire [le troisième texte, Youssef est un road trip en Syrie], et comment on trouve des moyens de le dire histoire avec ce que nous avons devant les gens : mémoire, images trouvées, récits personnels, etc. Une histoire dans une histoire, dans une histoire…

[Public presentation may 28 2016 // Theatre en mai Festival, Dijon]. The dispositif  becomes more precise. We are hosted by the CDN Dijon, and they build for the presentation a little bi-frontal 65 seats theater on the stage. The intimate relation we need for the performance is there. It becomes clear that for the final version of this project [it will be premiered in march 17 in Choisy le Roy], the challenge is to keep such an intimacy and inclusiveness at work with a larger audience [250 persons], as the project is about the relation between politics of history and politics of intimacy in the actual context of the ongoing syrian war, via the mix of 3 texts by Mohamed El Attar and the personal history of Leyla Rabih [her father is syrian and part of her family lives between Beyrouth and Alepo]. It is also obvious this is the unfinished and precarious aspect of the proposal that moves people, the fact we speak of doing something we cannot do [the third text, Youssef is a road trip in Syria], and how we find ways to tell this story with what we have in front of people : memory, found footages, personal narratives, etc. A story within a story, within a story…

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[Présentations publiques 27-28 fév 2016 // Confluences – Paris] – Une reconfiguration de l’espace de Beyrouth devient le concept scénographique. Mais il devient assez difficile de travailler dans un espace théâtral, car être au milieu de la vie et des lieux ordinaires est aujourd’hui souvent plus approprié pour créer du théâtre contemporain. Revenir dans une boîte noire est un défi, vous vous battez avec la frontalité implicite, l’arrière-plan idéologique de tels lieux. Mais de toute façon, nous l’avons fait.

[Public presentations 27-28 feb 2016 // Confluences – Paris] – A reconfiguration of the Beyrouth space becomes the scenographic concept. But it becomes quite challenging to work in a theatrical space, as being in the middle of life and ordinary places is today often more appropriate to create contemporary theater. Shifting back in a black box is a challenge, you fight with the implicit frontality, the ideological background of such places. But anyway, we did it.

Il est de multiples manières d’être scénographe. J’aime particulièrement cette dynamique où, impliqué dans un projet, on est là, on pense, on agit, on essaye, on pose des éléments, mais on ne fait pas de scénographie. Ainsi le projet avance. Il y a bien un moment où l’on te dit ‘il me faudrait des éléments d’espace’, alors on fait – on place un public, on vérifie des angles de vision, l’aire de jeu, l’espace de projection… Rapide et précis en utilisant ses ressources. On prend juste au sérieux le processus tout en oubliant un peu, sciemment, l’objet final. Un changement de contexte arrive [dans le cas présent nous passons de Beyrouth – Mansion, à Paris – Confluences], il faut reconfigurer. Ce déplacement impose de synthétiser. Des décisions simples, pragmatiques, comme retrouver le principe spatial suggéré par le premier lieu, amènent cette reconfiguration. Avec ce glissement, sans crier gare, le dispositif scénique du [futur] spectacle émerge. Au détour d’un croquis, il est là, et je ne l’ai pas cherché.

There are many ways to be a scenographer. I particularly like this dynamic where, involved in a project, we are there, we think, we act, we try, we pose elements, but we do not do scenography. So the project advanced. There is a time when you are told ‘I need elements of space’, so we do – we place an audience, we check the viewing angles, the playing area, the projection space … Fast and precise using its resources. We just take the process seriously while knowingly forgetting the final object. A change of context occurs [in this case we are going from Beirut – Mansion, to Paris – Confluences], we have to reconfigure. This movement requires a synthesis. Simple, pragmatic decisions, such as rediscovering the spatial principle suggested by the first place, bring about this reconfiguration. With this shift, without warning, the scenic device of the [future] spectacle emerges. At the bend of a sketch, it is there, and I did not look for it.

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[Présentations publiques 19-20 fév 2016 // une invitation de Zoukak & Institut Français, à Mansion // dans le cadre de Zoukak SIDEWALKS, Beyrouth] – La pièce principale d’une ancienne maison. Nous mettons en scène la présentation avec ce que nous trouvons dans le lieu. Nous achetons des lampes à LED sur piles, car il n’y a pas de puissance supplémentaire pour un tel événement. Un ami nous donne un vieux textile, celui qu’on voit partout sur les balcons de Beyrouth. Ça devient comme un signe, et un élément de contexte, c’est là, on vit avec, en essayant de voir si ça va rester dans la performance finale ou pas. On attend un petit public, en fait c’est comble [environ 200 personnes sur les 2 représentations], dans ce ‘petit’ lieu. Les gens sont intéressés, curieux, nous recevons beaucoup de retours, leur présence ancre le processus.

[Public presentations 19-20 feb 2016 // an invitation by Zoukak & French Institute, at Mansion // in the frame of Zoukak SIDEWALKS, Beyrouth] – The main room in an old house. We stage the presentation with what we find in the place. We buy led lights on batteries, as there is no extra power for such event in the house. A friend gives us an old textile, the kind of one you see everywhere on the balconies in Beyrouth. It becomes like a sign, and element of the context, it’s there, we live with it, trying to see if it will stay in the final performance or not. We expect a little audience, in fact it’s packed [around 200 persons over the 2 performances], in this ‘small’ place. People are interested, curious, we get a lot of feedback, their presence anchor the process.

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[Fév 2016][Notes sur la résidence à Beyrouth] – Le projet est une proposition ‘double’ : il met en scène 3 textes de Mohamed El Attar [Online, Caméra & Youssef], et simultanément la présence de Leyla Rabih, sa relation à la Syrie [ son père est syrien]. Ceci, via une dimension visuelle et performative live intriquée dans et autour des trois textes. Nous avons aussi fait une série de films essayant de « recréer » le scénario de Youssef, une pièce écrite comme un road movie entre Alep et Raqqa, impossible à réaliser aujourd’hui à cause de la guerre. Nous avons parcouru Beyrouth [jusqu’à Saïda], trouvé des lieux qui se ressemblaient, et tourné certaines scènes, mêlant l’énergie du cinéma et la vie du groupe. J’ai aussi commencé à travailler avec des films téléchargés des événements en Syrie, l’idée étant d’essayer de rapprocher le scénario avec ce que l’on peut faire et ce qui existe – « jouer » avec l’impossibilité d’y aller. La question de notre légitimité se posait constamment, car même si nous avons tous des liens avec la Syrie, nous n’avons pas participé aux événements et affronté la guerre. Être au plus près de Damas était essentiel pour nous tous, il y avait une sorte d’énergie, nous pouvions essayer de la saisir, et aussi dialoguer avec les personnes concernées par la situation, leur montrer le travail, faire face à leurs réactions.

[Feb 2016][Notes on the residency in Beyrouth] – The project is a ‘double’ proposal: stage 3 texts by Mohamed El Attar [Online, Camera & Youssef], and simultaneously the presence of Leyla Rabih, her relation to Syria [her father is syrian]. This, via a live visual and performative dimension intricated within and around the 3 texts. We also did a series of films trying to ‘recreate’ the scenario of Youssef, a play written like a road movie between Aleppo and Raqqa, an impossible one to do today because of the war. We travelled around Beyrouth [and to Saida], found places which were looking ‘similar’, and did shootings of some scenes, mixing the energy of cinema and the life of the group. I also began to work with downloaded films of the events in Syria, the idea being to try to approximate the scenario with what we can do and what does exist – ‘playing’ with the impossibility to go there. Constantly the question was of our legitimacy, as even though we all have links with Syria, we didn’t participate the events, and face the war. Being as close as possible from Damascus was essential to all of us, something of an energy was there, we could try to grab it, and also be in dialog with people concerned by the situation, show them the work, face their reactions.

Expérimentations visuelles, Mansion, Beyrouth // Avec Racha Baroud et Soleima Arabi // Visual experimentations, Mansion, Beyrouth // With Racha Baroud & Soleima Arabi [picts 1/2/3 by Leyla Rabih].

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Teaser du projet :

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[july 2015] A statement on the scenographic dispositif.

S’inscrire théâtralement dans une situation violente, changeante et complexe, qui se déroule sous nos yeux, à courte distance ?

Le texte de Mohammad Al Attar esquisse une forme de réponse : un dispositif textuel fondé sur le récit, le quotidien, l’intime, l’individu et l’humour. Il donne une série de pistes à explorer scéniquement.

Mais d’emblée la question me semble plus difficile – ou plus large, car elle oblige à prendre en compte le fait qu’aujourd’hui Daesh utilise le langage de la scène, du théâtre, littéralement, (voir l’utilisation du théâtre antique de Palmyre pour l’exécution spectaculaire d’un vingtaine de soldats il ya quelque semaines) pour mettre en scène des exécutions. L’histoire de la mise en scène, de la théâtralisation de la mort, des exécutions, n’est pas récente (l’échafaud, la guillotine, la pendaison – des noirs, etc.), mais elle est ici particulièrement frappante car les vidéos de Daesh utilisent jusque à l’obscène – et intentionnellement – des grammaires, des effets, qui sont ceux de la scène et du cinéma : le lieu théâtral et la grammaire du spectacle, nourrie notamment des clips vidéo, comme de la construction narrative des séries tv. Ces enjeux ne sont pas directement ceux du projet Attar, bien évidemment, mais l’on ne peut les oublier quand il s’agit de mettre en espace ses textes. Car c’est une possible obscénité du dispositif théâtral – et de la fiction – qui est ici mise en jeu pour qui veut bien consentir à le voir et à y réfléchir. Et cette obscénité n’est pas absente de l’histoire même du théâtre. ‘On ne peut les oublier’ veut dire ici que cela nous oblige à nous questionner sur le dispositif scénique de ce spectacle. La représentation de tels enjeux – ici la guerre en Syrie, la torture, la mort – ne devrait-elle pas évoluer à la fois sur le plan éthique, mais aussi, sur le plan des formes esthétiques et artistiques. Il ne s’agit pas de faire spectacle, ni même peut-être de faire (re)présentation ; ou peut-être si… s’il s’agit malgré tout de faire représentation (peut-on y échapper ?), comment faire ? D’une manière qui en interroge constamment le dispositif, d’une manière qui tente de donner des visions singulières et créatrices de ces enjeux, y compris peut-être sans avoir peur du spectacle. Je pense ici à des discussions avec Steven Cohen qui travaille constamment, avec son corps, dans une attention toute particulière à la beauté, à l’esthétique, à inventer des formes contemporaines et nouvelles de parler de la Shoah, à en questionner les esthétiques acquises, dans une claire volonté de faire choc, de faire émotion, de faire réflexion.

C’est ce qui m’intéresse dans le projet Attar : Inventer un dispositif scénique et esthétique qui travaille – modestement – à cet endroit. Les textes d’Attar y aident, ils refusent le spectaculaire, ils suggèrent des dispositifs de prise de parole très simples. Mais ils ne nient pas la nécessité du visible, du visuel (le road-movie). Par contre ils en ‘cadrent’ les enjeux. Il y a aussi quelque chose d’une pluralité de points de vue qui s’exprime, parmi les figures traversant ces textes comme dans le choix de Leyla Rabih d’articuler trois textes ensemble afin d’en faire un objet spectaculaire. Je souhaite accentuer cette pluralité en proposant dans un dispositif d’espace commun, contextuel en fonction des lieux théâtraux ou non théâtraux dans lesquels nous jouerons, plusieurs dispositifs : ceux des trois textes, soit un échange de mails, une interview et un road-movie (tous trois suggèrent une sortie de la scène, même s’ils sont écrits pour la scène) ; mais aussi ceux que proposeront les participants au projet, et en particulier des artistes syriens invités : une projection de dessins, une vidéo, un moment.. Tous seront construits à partir des textes d’Attar, mais ne chercheront pas forcément un propos dramaturgique unique. Ils fonctionneront selon un principe de variation autour d’un noyau, les textes, et la mise en scène de Leyla Rabih.

Jean-Christophe Lanquetin