Une scène dans la vasière // Avec Hamza Lenoir & Le Royaume des Fleurs // Mayotte, mars 20024

Une scène dans la vasière // Avec Hamza Lenoir & Le Royaume des Fleurs // Mayotte, mars 20024

Un projet d’artiste à dimension collective, dans la vasière des Badamiers à Mayotte [Petite Terre] dans le cadre d’une collaboration au long cours avec le Royaume des Fleurs [Djodjo Kazadi & Marie Sawiat] // Avec Hamza Lenoir [assistanat, écriture et ateliers] & les artistes du Royaume des Fleurs // Alwena LeBouil & Charlotte Eraud-Berthaud, étudiantes à la HEAR Strasbourg… // Projet soutenu par le Royaume des Fleurs [artiste associé], la DAC [Direction des Affaires Culturelles] Mayotte – l’Office Français de la Diversité / Parc Naturel Marin de MayotteLe Conservatoire du LittoralLa Haute Ecole des Arts du Rhin / Strasbourg – BAM [Bambou A Mayotte]… // Résidences préparatoires en juillet & novembre 2023 – Résidence de création du 4 février au 24 mars 2024 – présentations publiques la semaine du 18 mars 2024.

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« Notre oeil accoutumé aux perspectives imprenables, aux horizons dégagés, ne s’habitue au départ qu’avec difficulté à ce glissement de terrain du paysage ; de devant nous il est passé sous nos pieds. Le sol est le nouveau panorama riche en signes, le lieu qui appelle désormais notre attention ». Baptiste Morizot, Sur la piste animale, Actes Sud, 2018, p. 21. _ Cité in Dominique Weber, Notes de Travail 2015-2019, Ed Isti Mirant Stella, p. 92.

Il s’agit de construire une série d’interfaces poïétiques entre milieu naturel et milieu urbain dans et autour de la Vasière des Badamiers, un espace de contact entre tous les vivants, à résonance imaginaire. Un ensemble d’installations, entre macro et micro-espace[s] physique[s] et performatif[s] qui, faisant récit[s], suggèrent la possibilité d’un monde habitable par les humains et les non humains et en cela le devenir de notre monde commun.  
Je les appelle scènes.

A Mayotte, je m’intéresse aux relations qu’entretiennent les habitants de l’Ile avec un milieu vivant dont l’intensité et la beauté me touchent constamment. La Vasière des Badamiers est située sur l’Ile de Petite Terre à Mayotte juste derrière le Royaume des Fleurs, friche artistique où je travaille. C’est un milieu marin protégé, entre mer et terre, une interface. Elle est bordée par le boulevard des crabes [où se situent le Royaume des Fleurs, ainsi que le Parc Marin], la route qui relie les villes de Pamandzi et Labattoir, ainsi que l’aéroport, à la Barge vers Grande Terre et à la presqu’ile administrative de l’Etat Français [Dzaoudzi]. Un second côté longe la commune de Pamandzi, principale interface avec l’urbain [lieu particulièrement dégradé]. La dernière façade est avec la mer via une bande de pierre volcanique et trois déversoirs qui communiquent au gré des marées montantes et descendantes. Noter aussi la présence de deux mornes, dont une est cultivée. On y observe une biodiversité particulièrement riche, un abri pour le vivant, et une mangrove en expansion, malgré le fait qu’à ce jour la Vasière est littéralement la station d’épuration de Labattoir.

Ce sont les frottements avec la ville en plein essor et les tensions qui en résultent, liés à la présence grandissante des hommes qui m’ont frappé d’emblée. Ce sont ces tensions que je souhaite interroger, dans un geste d’artiste, porteur aussi d’une dimension didactique.

J’utilise le terme scène non pas au sens conventionnel et théâtral du terme mais comme un espace d’intrication et de relation entre des vivants. Les scènes que je créé sont des espaces d’énonciation concrets et poétiques que les vivants et les éléments investissent, colonisent, habitent, creusent, performent, de manière éphémère ou permanente : mon hypothèse – récit est que ce sont les humains qui créent ces espaces, mais dans une forme d’attention, un dialogue peut-être, avec les vivants, tortues, crabes poissons, mais aussi les plantes, les vents, les oiseaux, l’eau, les palétuviers, les herbiers… Enjeu intéressant puisque les vivants ne parlent pas (ou pas comme nous), ce qui nous engage, nous humains, sur la manière dont leur présence peut être prise en compte, sur la manière dont nous sommes capables de regarder ces espaces autrement que comme des paysages, mais comme une multitude infinie d’interactions.

Ces scènes seront des espaces et des gestes disséminés dans la Vasière, réalisés par nous humains [avec des artistes et performers mahorais]. Leur forme est une tentative – une fiction spéculative – d’entrer en relation avec le milieu autour, dans toutes ses composantes, d’où leur forme très inhabituelle pour une scène. Elles seront photographiées et ainsi données à voir au habitants. L’idée est qu’elles intriguent, suscitent de l’imaginaire, de l’attention, des questions concrètes : que se passe-t-il dans la Vasière ? Quelles cohabitations possibles avec la ville ? La nature de nos co-présences. Doit-on, peut-on y faire quelque chose ? Intervenir ? Ou non. Que savons-nous de ce milieu vivant ? Ces scènes invitent à une attention, à se questionner sur nos manières d’interagir, à prendre en compte toutes intra actions qui s’y déploient. En même temps cette interdépendance matérialisée est ludique, joyeuse, contemplative, étrange.

Ces scènes n’ont évidemment pas l’aspect d’un plateau de théâtre : le palétuvier, son « architecture » s’avère être une piste porteuse à la fois d’imaginaire[s], d’une forte dimension de monde alternatif, ainsi que d’un potentiel constructif pour créer ces espaces, installations et performances. On s’intéresse aussi au relief des roches [l’érosion différentielle], au mouvement de l’eau, on suspend des pierres, on noue des éléments, on s’inspire des nudibranches, des mouvements de la nage, du vol des oiseaux, des coraux pour inventer des graphies, des lignes,  des couleurs, etc. Ces gestes, ces ‘écritures’ sont une manière de relation au monde. Ils se matérialisent aussi dans l’ancrage de nos corps, dans la marche, la nage. Comment la mangrove, le palétuvier, l’eau, les nuages, les animaux, toutes ces présences peuvent-ils faire scène ? Et comment ces scènes nous racontent t’elles un monde possible.

Trois propositions seront présentées entre le 21 et le 23 mars 2024.
1. Un ensemble de photos imprimées sur tissu seront exposées sous forme d’installations le long du boulevard des crabes, entre le four à chaux et les locaux du Parc Marin. Ces photos seront des récits fictifs, les traces visuelles de ‘scènes ‘qui se seraient déroulées dans la Vasière. Le boulevard des crabes sera ainsi comme une longue galerie d’exposition, invitant à regarder la vasière avec attention. Ces scènes nous les aurons réalisées et documentées dans les espaces de la vasière [performances, dessins, agencements…].
2. Toujours depuis le boulevard des crabes, seront visibles deux grandes sculptures dont la structure sera en bambou. Elles feront environ 7-8m de haut, posées sur une bande de terre ou dans l’eau, et attireront le regard par leur étrangeté, car elles mixeront des matériaux naturels [cailloux, végétaux divers, bois flotté…], mais agencés de manière étrange, suspendus, tendus,  aux couleurs inhabituelles, etc. Ces installations-sculptures seront entièrement biodégradables, non invasives et vouées à lentement disparaître ou à être colonisées par les vivants.
3. Une journée de performances sera organisée avec les danseurs et performers du Royaume des Fleurs, partenaire du projet. Ce moment permettra à un public d’aller en bordure de la Vasière pour y assister. S’y joindront les propositions de trois jeunes artistes venues de métropole pour participer au projet, deux d’entre elles étant étudiantes à la Haute Ecole des Arts du Rhin à Strasbourg.
Une fois cet événement terminé, les sculptures resteront afin d’être colonisées par les vivants, et lentement disparaître.

Dans un moment de forte mutation du territoire urbain de Mayotte, la Vasière est le témoin de la part muette mais pas silencieuse, car omniprésente, des dynamiques de vie sur l’ile. La mer, la lumière, le végétal, l’animal, au coeur de l’ordinaire, de la vie des gens depuis toujours, sont fragiles et menacés par les mutations en cours, l’accélération du développement urbain, des constructions, les tensions migratoires. Le milieu naturel se fait réceptacle de ces tensions car il est porteur, aussi, de la diversité et de l’ancienneté des modes de vie. Il est le lieu de pratiques multiples, de respirations le plus souvent discrètes, traditionnelles, mystiques, méditatives, esthétiques qui sont des formes de résistance à la mutation accélérée de l’Ile. Le milieu vivant est un espace hors champ essentiel, auquel il convient de prêter grande attention.
Ce projet souhaite interroger aussi cela.

Novembre 2023

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Recherches photographiques (2022 – 2023)

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Premières esquisses (2022) – Une série d’intuitions. Le geste reste scénographique, au sens classique du terme.

 

Septembre – Décembre 2023 : dessins préparatoires pour les installations – sculptures dans la Vasière (dimensions variables) – en cours.