Up There // Collectif Ma'louba // Mohamed Al Arashi & Wael Kadour // Mulheim 2022

Up There // Collectif Ma’louba // Mohamed Al Arashi & Wael Kadour // Mulheim 2022

Un projet du Collectif Ma’Louba // Texte Wael Kadour // Mise en scène Mohamad Al Arashi // Scénographie Jean Christophe Lanquetin // Vidéo Guevara Namer // Son Khaled Kurbeh // Lumière Toni Mersch // Avec : Hala Bdier, Wejdan Nassif, Hend Alkahwaji et Wael Kadour // Production Wael Kh. Salem // Production internationale Eckhard Thiemann // Développement des publics Omar Mohamad // Assistant de production Wisam Atfeh // Tonnaustatung Theater Am der Ruhr, Mulheim // Création le 3 décembre 2022.

Voir site Theater am der Ruhr : ICI

Une critique [en Allemand] ICI

Le texte dans la revue Arab Stage [introduction par Edward Ziter] ICI

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Up There
Quelques notes
Novembre 2022

Un objet étrange, assez mélancolique, se devine, un récit-fiction ancré dans des événements survenus entre 1991 et aujourd’hui, entre Damas et le lieu où nous sommes, à Mulheim am der Ruhr où le collectif syrien Ma’Louba est en résidence.

Dans Up There, Wael Kadour et Mohammad Al Arashi se demandent où aujourd’hui ils peuvent créer et pour qui ? Le seul espace où Wael s’est senti un peu libre et en sécurité dans sa vie, c’est son bureau à Damas, entre 2008 et 2011, un moment de (relative) liberté en Syrie. Cet espace est sur scène, comme une maquette à l’échelle 1/1, espace à partir duquel Wael retraverse son histoire, entre passé, futur et présent. Où, syriens en exil, pouvons nous créer librement aujourd’hui en 2022, puisque pas à Damas, la ville où nous voudrions pouvoir vivre, la ville d’où nous voudrions pouvoir vous adresser nos visions du monde.

Nous reconstruisons un décor pour La Dame du Lac d’Ibsen, spectacle créé en 1991 à la prison des femmes de Damas, par Hind Kahwaji, Wejdan Nassif avec un groupe de femmes prisonnières. Un rocher au bord de la mer sur lequel le personnage principal, une femme, telle une sirène, vient s’asseoir. Elle refuse de suivre son amant, lui préférant la vie auprès de son mari. En 1991, le spectacle a été créé de façon semi clandestine dans un coin de la prison. A Mulheim le décor est en fond de scène, ré-agencé par Hind et Wejdan avec des boites d’oeufs collectées patiemment, un drap bleu pour la mer, quelques caisses, un peu de peinture. Je les suis dans cette reconstitution, j’interviens juste pour leur dire : Faites comme vous avez fait. Elles ont une mémoire précise de ce décor. M’intéresse ici, au-delà de la dimension documentaire, le fait que mes réflexes sont secondaires, c’est l’aspect que ce décor avait à l’époque qui compte.

Je suis le seul non syrien dans une équipe artistique syrienne. Tous ancrés à gauche, anti-religieux, n’ayant pas renoncé à leurs idéaux, à leurs choix de vie. Tous le payent ou l’ont payé de l’exil, de la prison pour certains. Cela reste opaque, pudique mais les histoires sont lourdes. Je suis là suite aux projets théâtraux dans lesquels j’ai été impliqué à Damas en Syrie entre 1994 et 1997, puis en 2004. Ces projets étaient politiques, ils ouvraient des petites brèches, à bas bruit, sous la dictature d’Assad père. J’ai rencontré Mohammad à cette époque. Quelques années de silence et une révolution plus tard, nous racontons ensemble ces histoires de vies, entre documentaire et création.

Sur la précédente création, Chroniques d’une ville qu’on croit connaître, le processus était comme une petite utopie, un vivre ensemble qui se refuse à certains biais, rapports de force, hiérarchies. On fait en douceur, c’est ainsi que l’on veut être, cela donne ce que cela donne. Au final cela fonctionne. Je retrouve cela sur Up There, des personnes, artistes, qui savent pourquoi elles-ils sont ici, calmement, ce qui n’enlève rien à a densité de ce qui se créé et pas seulement dans la sphère de l’art. Il est clair pour tous, que ce spectacle a une importance au delà de l’éphémère d’une création théâtrale. Hind et Wejdan et Hala, l’actrice qui joue Solness, ne le montrent pas mais elles sont là de tout leur corps, de toute leur présence. Cela se sent, l’énergie du projet est doucement chargée d’émotion.

Dans La dame du Lac, la femme finalement renonce à suivre son amant. Alors que dans Solness, elle s’accorde la liberté. A partir du bureau de Wael en 2008, au centre du plateau, il réécrit la fin du spectacle de 1991 (qui ne convenait pas au public de prisonnières) et du coup le devenir des artistes en 2022. Nous jouons avec l’espace, l’avenir, le passé, les potentiels du temps que l’on traverse… jusqu’à y perdre le spectateur… qui découvrira à la fin que l’ensemble du récit est basé sur des événements réels.

Le soir de la première la salle est pleine, la majorité du public est syrienne. Les gens sont là, ils écoutent les récits, qui sont leurs. L’émotion est palpable. Lors de la discussion qui suit le spectacle les questions sont nombreuses pour Hind, Wejdan et Hala. Le théâtre a fait son boulot, il accueille en résidence longue un collectif, lui permet de créer des spectacles sans les formater, un public est au rendez-vous. Pour combien de temps ? Le spectacle tournera-t-il ? Aucun programmateur ne vient si loin, à Mulheim. Qui remarquera que cette équipe, parmi d’autres j’imagine, invente son théâtre. Que là le théâtre est vivant, avec ses forces et ses faiblesses, bien vivant, il parle aux gens de leur vie. Que la Syrie est aujourd’hui en Allemagne… dans des villes moyennes de la Ruhr. Comment un tel geste peut-il croiser les logiques de programmation en Europe aujourd’hui ? En France particulièrement ? Je suis sceptique, j’espère me tromper.