Le corps de Jesus // Hamza Lenoir // Création Festival de Marseille, juillet 2024

Le corps de Jesus // Hamza Lenoir // Création Festival de Marseille, juillet 2024

Un projet de Hamza Lenoir // Avec Inssa Hassna & Hamza Lenoir, performance // Nacho Ortega, Création son // Jean-Christophe Lanquetin Scénographie & vidéos // Regards extérieurs Djodjo Kazadi & Jean-Luc Raharimanana // Production Cie Kazyadance – Le Royaume des Fleurs // Avec le soutien de Lalambik, Le 3bisF, Le Festival de Marseille, l’Institut Français et du Programme de Recherche Play>Urban – La HEAR/Strasbourg // Création en Juillet 2024 au Festival de Marseille. Tournée en octobre 2024 à Roubaix et Paris dans le cadre du festival Kreyol, et à La Réunion en novembre 2024, à l’invitation de Lalambik.

 

Note d’intention // Hamza Lenoir

L’île de Mayotte, dans l’archipel des Comores, est façonnée par plusieurs forces extérieures. La position géographique de l’île, dans le canal du Mozambique, fait que ce bout de terre est parcouru par maintes civilisations : africaines, métropolitaines… Le projet va se construire à partir de cet axe : sa personnalité archipélique, entre une forme scénique – interroger l’espace par le corps, la musique, les textes – une forme chorégraphique – s’attribuer l’espace comme lieu d’échanges – et à travers échanges et transmissions.
Le corps de Jesus est une performance scénique qui part de ma pratique d’écrivain pour aller vers la danse, mais aussi la musique et la vidéo. C’est un hommage, une introspection, une méditation sur le devenir de Mayotte, l’Ile où j’ai grandi et que j’aime profondément, la matrice de ma pratique, mon monde. J’y circule constamment, je la traverse, j’en connais les recoins. Je dors ici, je passe du temps là… Mon quotidien se déploie dans cette insularité. Les passages incertains, ou encore les ruelles de mon village, ne me sont pas inconnus. Mes textes, mes récits, mes poèmes en racontent les histoires intimes, mais aussi mystiques, politiques. Ils parlent de sa diversité, de l’évolution des rites, traditions, cultures.

Je vois changer ce monde, et cela m’interroge. L’Ile vit aujourd’hui dans un mélange des mœurs et des mondes qui la traversent. Une situation complexe que j’essaie de dénouer pour comprendre le pourquoi du comment, quelle est ma place dans ce monde en mutation. Ce qu’évoque l’Odyssée, l’un des textes du spectacle.

D’où viennent ces transformations ? J’ai le sentiment qu’une forme de gentrification sociale se met en place. La vie traditionnelle longtemps préservée et que j’ai connue enfant tend maintenant à se perdre, en dehors des formes touristiques. Je le vois notamment avec l’évolution de la danse : elle jouait un rôle important dans mon quotidien mais ces pratiques deviennent événementielles, occasionnelles : je ne me sens plus dans l’intimité des mœurs. Ainsi se transforme la vie d’un insulaire. Selon moi.
Ce projet est aussi une manière de raconter une volonté de conservation de la mémoire.

Pourquoi le corps de Jésus ? Mes interrogations renvoient en particulier à la religion et aux traditions qui à Mayotte ont une place importante. J’ai choisi le nom de « Jésus » car sa figure fait écho avec le projet. On le trouve dans une religion comme dans une autre. Dans la chrétienté et dans la religion musulmane. Sous un statut, celui du fils de Dieu et de celui d’un des prophètes.
Le fait que le danseur interprète s’appelle Inssa, dit « Jésus » rentre dans ma démarche artistique.
Mais Jesus, cela peut être chacun d’entre nous, à Mayotte.
Je pose ces questions à travers une expression scénique liée au corps. Une forme de projection de mon corps dans un autre corps. Jesus est un peu comme mon double. Je suis sur scène, en tant qu’auteur du texte avec le danseur, il est le réceptacle de moments vécus, que je vis toujours. Une manière de raconter l’impression que j’ai de vivre dans un entre deux, sous des pressions politiques, traditionnelles, culturelles. Entre les mythes et religions, et le monde contemporain.

M’exprimer sur une scène me paraît essentiel car il s’agit de transmission intime, via les corps, une expression directe de mon regard par rapport à Mayotte. Une manière de véhiculer ce que racontent mes textes, au-delà des mots, avec des images, des sons, des gestes. J’ai envie de cela, performer mes textes, les danser, les mettre en jeu, les partager ainsi.

Enfin, la vidéo me permet de prolonger les perspectives et de mieux donner à voir l’espace auquel je suis intimement lié.

Je souhaite présenter cette création un peu partout à Mayotte et dans les iles alentour. Elle est conçue en premier lieu comme un dialogue avec les gens que je côtoie ici. Au-delà, elle est adressée à tous les publics, non mahorais, et tentera de raconter la complexité des mutations que je traverse ici, qui à la fois m’inquiètent et me rassurent.

Note scénographique

Une scénographie est toujours un double mouvement :
Elle ancre le geste scénique, ici dans l’écriture, pratique première d’Hamza Lenoir.
Elle ouvre vers un imaginaire, un au-delà de la scène.
La performance commence comme une lecture issue de la fabrique de l’écrivain. Il est assis près de nous, nous l’écoutons. Par les mots, les images arrivent. A coté de lui, Jesus, performer, est immobile. Sa peau, son visage, seront bientôt comme une page. Son corps est l’Ile. L’écriture est la matrice, mais c’est la danse, la performance qui se déploient dans l’espace. La page s’élargit, se déplie, devient la scène. Elle se fait support d’images.
L’ile est une peau, elle apparaît dans l’espace et finit par l’occuper. Sa puissance et sa densité, la manière dont les vivants y sont enchâssés, devient palpable via les images, comme des visions d’un monde matrice.

L’écriture revient alors, avec le voyage, le récit d’une naissance.

Résidence de recherche & présentation publique au 3BisF – Aix en Provence. Mars 2023