Les Praticables festival // Avec Diarrah Dembele, Aichata Zoumana Traoré, Mohamed Diane, Mohamed Diarra, Harouna Kallé Souley // Bamako 2021
Scénographie pour le festival Les Praticables 2021, à Bamako Coura // du 6 au 11 décembre 2021 // Direction artistique Lamine Diarra – Le Fil // Ce projet fait partie d’un programme de formation à l’émergence de jeunes artistes maliens et de la sous région : création de cinq maquettes de spectacles, formation à la scénographie et aux techniques du spectacle [Leyla Rabih, Mathieu Ferry et Chab Touré encadrent avec Lamine et moi ce programme] // Le présent projet est conçu et réalisé avec six jeunes scénographes : Diarrah Dembele, Assétou Koné, Aichata Zoumana Traoré, Mohamed Diane [Guinée Conakry], Mohamed Diarra, Harouna Kallé Souley [Niger], ainsi que les habitants, bénévoles, et associations du quartier. En particulier les familles Coulibaly et Tall. Et bien sûr, les équipes du Festival.
Ce projet à base de tulles [que l’on utilise pour les moustiquaires] est une reconfiguration pour l’espace urbain du quartier de Bamako Coura, du rideau de scène dans les théâtres européens. La question, au départ, est la suivante : comment raconter de manière forte et simple, le devenir théâtre de l’espace urbain du quartier, des cours, des rues, des places ? J’ai d’abord pensé à emballer les maisons où se déroulent les spectacles avec les tulles qu’on utilise pour les moustiquaires. Puis l’image du rideau de scène est venue. Or le rideau de scène dans le théâtre occidental, c’est toute une affaire de plissés, de tombés, de mouvements, toute une affaire de caché et de montré, de dévoilement. Comment alors jouer avec ce geste, un archétype très lisible, le détourner, ici à Bamako. Travailler avec du tulle de moustiquaire, c’est aussi une manière de dire que les histoires de théâtre qu’on raconte lors du festival sont celles des gens, leurs histoires intimes, ordinaires… Ainsi, nous avons collecté via une association de femmes du quartier, chez les gens, 200 moustiquaires usagées pour les échanger contre des neuves. Une fois teintes nous en faisons des rideaux de théâtre. Or, au fil du projet, quelque chose se renforce : les moustiquaires usagées, trouées, rapiécées, les fils de tissu qui les lient au plafond, aux murs, portent en elles la charge intime des gens. Nous les suspendons dans la rue et les gens voient cela, et le disent avec une certaine fierté.
Ce projet fait continuité avec l’édition 2019 des Praticables à Bamako, visible ICI.
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General scenography for Les Praticables 2021 festival, in Bamako Coura // Artistic direction Lamine Diarra // This project is part of a training program for the emergence of young artists from Mali and the sub-region: creation of five models of shows, training in scenography and performance techniques. This project is designed and produced with six young scenographers : Diarrah Dembele, Assétou Koné, Aichata Zoumana Traoré, Mohamed Diane, Mohamed Diarra, Harouna Kallé Souley // 6-11th of december 2021.
This tulle-based project [used for mosquito nets] is a reconfiguration for the urban space of the Bamako Coura district, of the stage curtain in European theaters. The question, at the outset, is the following: how to tell in a strong and simple way the becoming theater of the urban space of the neighborhood, courtyards, streets, squares? I first thought of packing the houses where the performances will take place with the tulles used for the mosquito nets. Thus the house becomes different, strange, intense, it becomes theatrical. Then, continuing to research, the image of the stage curtain came on. However, the stage curtain in the Western theater is a whole matter of pleats, of falls, of movements, a whole matter of hidden and shown, of unveiling. How then to play with this gesture which is a very legible archetype, to play with it, to divert it, here in Bamako. And working with mosquito net is a way of saying that theater stories told during the festival are those of the people, their intimate, ordinary stories… Means, we collect in the neighborhood, among people, old mosquito nets and in return we give new ones. We dye them, and with these mosquito nets we create theater curtains. But it becomes more than that, as the used mosquito nets, holes, used, carry within them, the history of people. Suspended in the street that’s also what they speak about…
Dessins [septembre 2021]
Premiers essais [juillet 2021] et regard sur la ville.
Processus [novembre – décembre 2021] – Récit visuel. Echange des moustiquaires, le toit atelier chez la famille Coulibaly, teinture, essais de rideaux, installation dans la rue, Parade dans la ville
Et lors de la parade qui ouvre le festival [reportée au mercredi pour cause de deuil national], nous marchons avec un rideau de mousticaires.
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Un dialogue avec Diarra Dembele, Harouna Kaley Souley, Mohamed Diarra et Mohamed Diane.
Jean-Christophe Lanquetin : Les gens se demandent pourquoi dans la rue 369, tous les gens ont des moustiquaires roses ?
Mohamed Diarra : J’essaye d’expliquer la relation à l’intimité, j’essaye de dire aux gens que les moustiquaires sont témoins de beaucoup de choses, qu’elles entendent beaucoup de choses. Le fait d’amener ces moustiquaires dehors, le simple fait de les voir, ça explique tout. Elles te disent tout ce qu’il s’est passé. Elles parlent d’intimité, de ce qu’il s’est passé devant elles, les rêves, les cauchemars, les insomnies. C’est comme si on nous transportait de l’intérieur vers l’extérieur. C’est fort, ces intimités.
Mohamed Diane : Au début, lorsqu’on a changé de projet, j’avais du mal à accepter quand même.
JCL : changé de projet ?
MDj : Quand on a voulu accrocher les moustiquaires sans les couper. J’avais du mal à accepter. Je réfléchissais. L’autre projet j’étais hyper dedans même, et là, me retrouver dans le nouveau projet c’était un peu compliqué. Du coup j’ai commencé à discuter avec les amis…
JCL : Et vous avez compris pourquoi à un moment j’ai décidé de pas les couper.
MDj : Oui, j’ai compris.
Diarra Dembele : Moi, quand même, je l’ai toujours imaginé comme ça. Pas coupé.
JCL : Mais tu ne l’as jamais dit.
DD : Non, mais… Depuis juillet je me disais. Je ne sais pas si j’en ai parlé… on doit mettre les moustiquaires en haut, comme si on allait suspendre un lit là dessous. Et finalement je me retrouve dans mon idée.
JCL : J’ai changé le projet en route. Ce qui a été décisif, c’est un commentaire de Myriam Mihindou sur ma page Facebook, qui a conforté le fait qu’il y avait dans cette dimension intime, quelque chose d’essentiel. Du coup l’opération de modification devait être la moins importante possible, en tout cas dans la rue – parce-qu’on a par ailleurs gardé l’idée des rideaux de théâtre. Dans la rue, il fallait pas faire en sorte que cela ressemble à des rideaux, il fallait pas ramener une autre histoire, conceptuelle, ou une idée. Il fallait rester collé à quelque chose que les gens pouvaient parfaitement identifier et comprendre tout de suite. Sans qu’il y ait de complication. Et puis, il y avait un problème technique, vous vous rappelez le soir où on a commencé à faire des coupes, ça ne marchait pas, ça tombait. Je me disais qu’on allait passer des heures à couper ces moustiquaires et que ça ne marchait pas. J’étais inquiet, on allait pas avoir assez de temps.
MD : Ce changement n’en a pas vraiment été un. On avait discuté de l’importance de l’intimité, de la ramener dehors. C’était devant la cour de la famille Sangaré et c’était un bel échange entre nous tous. Avec ce que Diarra a dit en juillet, le fait de suspendre les moustiquaires sans rien changer, on est revenus vers notre idée de base. Quand on découpait, on sentait tous qu’on perdait quelque chose, mais comment expliquer cela ? Comment dire les idées, comment convaincre ? C’est ça le vrai problème.
JCL : Quand on sent quelque chose et qu’on ne sait pas pourquoi, il faut absolument l’écouter. C’est essentiel.
DD : (elle rit). Toi aussi tu as un peu changé d’idée, parce-que là tu étais parti sur une couleur rouge, et à un moment tu disais : ‘y a pas de rouge, y a pas de rouge’.
JCL : Le deuxième jour [de teinture], oui, on manquait de rouge. On a plus de cinquante moustiquaires qui ne sont pas rouges, mais vous voyez que c’est le rouge qui créé une unité. Et le fait de les teindre, c’est une grosse transformation des moustiquaires d’origine. Si on avait mis juste les moustiquaires blanches, ça aurait été trop littéral, trop proche de la réalité.
MD : Les moustiquaires ont presque les mêmes histoires, mais le fait de teindre fait que les variantes ne sont pas les mêmes, il y en a qui sont plus fortes, plus faibles. Il y a des moustiquaires qui sont bleues, qui changent carrément de couleur. C’est comme si, quelque part, les intimités pouvaient changer carrément et donner autre chose. Mais il y avait une base sur laquelle tout se fondait, cette couleur rouge, tout suivait ce chemin là.
JCL : C’était à la fois la teinture, mais en même temps c’étaient pas les mêmes tissus, certaines sont sales, d’autres propres, il y avait plein de critères. Ce sont aussi les teintures, les bains. Les premiers bains on lavait après teinture et c’était beaucoup plus rose. Les derniers on ne lavait plus, donc c’est beaucoup plus rouge. Ca a été un processus complexe pour moi.
DD : Le plus important, c’est que les femmes du quartier ont mis de l’importance dans les moustiquaires. Personne n’avait pensé qu’un jour il y aurait un échange de moustiquaires,. C’est comme les histoires de cache nez [les masques anti covid], on y accorde pas d’importance, mais finalement ça en a beaucoup.
MDj : J’ai pleinement compris le projet, en voyant la façon dont les gens se sont déchainés sur les moustiquaires, lors de l’échange. Je voyais ces femmes venir avec les moustiquaires usagées… Après ça, les découper c’était comme découper une partie de leur vie. Je me posais la question : imagine, si c’était moi, ma moustiquaire, est-ce que ça n’allait pas me gêner un peu ? Les femmes, c’est leur moustiquaire, elles sont avec nous dans le projet, on a pris un départ, elles doivent se sentir dedans. Si c’était moi, qu’est-ce que ça allait me faire ?
Je fais quelque chose pour ma nation, mon quartier, pour le festival. Je ne veux jamais me marginaliser, et je me disais qu’en faisant une petite chose je pourrais accomplir une grande chose, sans forcément m’en rendre compte. Avant d’accrocher, je m’inquiétais un peu, je me demandais si cela allait donner comme ce que nous voulons. J’ai commencé un peu à frimer, je suis le roi des frimeurs, disons comme ça. Mais le premier jour qu’on accroché les moustiquaires, le premier essai, j’avais un sentiment de soulagement.
JCL : Moi aussi.
MDj : En tant qu’utilisateur de moustiquaire chez moi, j’étais content, fier. Si je suis comme ça, une autre personne peut l’être aussi. Je n’y ai pas pensé parce-que c’est mon projet, mais d’abord comme un sentiment personnel. J’ai commencé à voir l’importance de la chose. Imagine, les gens passaient et commençaient à s’intéresser. Ils se demandaient ce que c’était, avec seulement trois moustiquaires suspendues dans la rue. Ca envoyait des trucs dans la tête des gens, certains se reconnaissaient dedans. Même s’ils ne voyaient pas trop, ils disaient : ah, c’est la moustiquaire qu’on a échangée, et je me disais : ah, donc ça peut marcher.
MD : Je m’étais dit, si on arrivait pas à suspendre ces moustiquaires, rien qu’avec l’échange, on avait déjà un projet. Les gens accourent pour venir déposer leurs histoires et prendre un nouveau départ. Les nouvelles moustiquaires, c’est comme un nouveau départ, ils vont aller confier encore d’autres histoires à ces moustiquaires là, neuves, et ça c’est un processus, un projet à part. C’est comme si tu demandais à chacun de venir avec ses différences, de les rassembler et de partir avec, un autre départ, qui va faire d’autres différences. En les suspendant, le projet continuait. On a construit une histoire avec les différences de tout un chacun.
MDj : J’aime trop les projets communautaires. Je ne vais pas oublier cette idée. Souvent quand je vois des publications chez moi, c’est comme si tu donnes des bonbons aux enfants. Après, tu t’arrêtes, tu prends une photo avec les enfants, tu postes ça sur les réseaux, puis tu leur retires les bonbons et tu te casses. Ca me sidère. Imagine, on leur donne des bonbons, ils sont contents, et on ne leur laisse en fait que les sachets vides. Je ne veux pas que le projet s’arrête là. Si dans deux ans on se retrouve, c’est comme si nous on aller montrer qu’on peut faire quelque chose de bon pour la santé des gens et pour la communauté. On ne peut pas toujours compter sur le gouvernement en place pour résoudre. Mais on peut compter les uns sur les autres, être une famille, soudés. Imagine, dans deux ans si on revient, qu’on récupère les sachets, ce que les autres ont laissé, et qu’on fait des choses proches de ce qu’on a osé là, ça va prendre de l’ampleur et on va contribuer à la vie des gens. Et peut-être réduire un peu le palu. M. Yacouba me disait hier que ça faisait longtemps qu’il a pas eu de moustiquaire, ça m’a touché. Pourtant il y a beaucoup de moustiques. Si les autres ne pensent pas à ça, nous on peut y penser. On est pas le gouvernement, on est pas des ministres, mais des artistes, on créé à partir de ce qu’on voit. On ne peut pas passer notre temps à dire qu’on va faire ça, sans le faire. En tant qu’artiste, je me dis que c’est égoïste de ne pas penser à tout ca. Le geste qu’on a posé, qui savait que ça allait prendre de l’ampleur, personne. Avec cette idée, on a contribué la vie des gens et à leur santé d’autant qu’on avait un budget à nous.
JCL : C’aurait été absurde d’acheter des moustiquaires neuves pour les suspendre dans un contexte où les gens ont à peine de quoi s’en payer. On a dépensé plus de 300 000 francs cfa, on allait pas juste l’utiliser pour faire de l’art, alors que les gens chez eux ont des moustiquaires usagées. Les gens n’auraient pas compris.
MD : Un journaliste s’est arrêté dans la rue. Il m’a demandé : c’est quoi ça ? Je lui ai expliqué, j’ai parlé de l’échange des 200 moustiquaires, il a répondu que si on avait utilisé des moustiquaires neuves, le projet n’allait pas être soutenu par le quartier. Ils allaient dire qu’on fait du gaspillage.
MDj : Si, en tant qu’artistes, on ne pense pas à nos communautés c’est difficile. Ça sert à rien de faire du copier-collé des autres cultures, ils sont en avance par rapport à nous, des siècles. Si on ne fait pas gaffe dans nos créations on risque de tout dénaturer. C’est pas les autres qui ont besoin de nous, ils sont juste devant nous. Hier, avec Jc, on parlait de femmes qui étaient là, certaines peuvent faire deux ans, trois ans, sans manger à leur faim. Or il y avait de la nourriture pour tout le monde [durant le festival, l’association des femmes du quartier organisait des soirées traditionnelles, avec repas pour tous]. Je parle en tant qu’africain [rires]. Or ça, je ne connaissais pas. En Guinée, après la soirée c’est l’orchestre musical. Je n’ai rien contre eux, mais je me demande, ce qu’ils peuvent apporter dans la conscientisation de la population ou dans le réveil culturel. Rien. Ils ne font que du copier-collé et ça me sidère un peu. Mais hier je me suis dit, pourquoi ne pas continuer dans ce sens. On fait le truc, à l’ancienne, et on montre aux autres que chez nous c’est ainsi.
Harouna Kallé Souley : Dans ce projet des moustiquaires ce qui m’a plu, c’est comme si dès le début, la scénographie ou le théâtre, son objectif c’était de rassembler tout le monde, toutes les ethnies des différentes contrées. Et nous, on a fait plus que ça aussi, c’est comme si on avait rassemblé le quartier. En regardant, je me dis, si on avait eu le temps de le faire dans tout Bamako et rassembler tous les gens dans le même lieu. Les mots m’échappent.