Notes pour un projet au Niger // 2005
Au lieu de travailler autour d’une scénographie pour un texte, un spectacle, il s’agirait de mener une expérience de création d’un lieu éphémère, un espace de (re)présentation, entre spectacle et exposition, un abri pensé et construit à partir de l’observation des pratiques et des techniques d’espace au Niger. En particulier les pratiques de construction des nomades. Cela donnerait un petit lieu, facilement transportable, à dimension variable, que l’on pourrait inscrire dans des environnements urbains, familier aux habitants du fait de ses techniques de construction, se « fondant » apparemment dans l’environnement. Et en même temps un lieu voué à la création contemporaine qui puisse accueillir des performances, des installations, des spectacles, des petites formes.
Au Niger suite à ce que j’y ai entrevu de la vitalité des cultures et des architectures nomades. Je travaille régulièrement des abris (« entre abri et édifice », disait Vitez), et le peu que j’ai perçu de la vitalité des pratiques nomades a fortement résonné en lien avec mon travail de scénographe, qui se constitue le plus souvent à partir de l’idée de « reconstruire un théâtre » un espace éphémère.
Et de l’inscrire dans un contexte.
Dans un premier temps, il s’agirait de mener et documenter un travail d’observation d’espaces, d’en faire expérience. Rapports intérieur/extérieur, légèreté des constructions, omniprésence de la courbe, inscription dans le paysage, points de vue, rapports de distance, assignations, déplacements… Ce que cela créé en termes de pratiques de l’espace. Il est évident que l’espace n’est pas vécu et pratiqué de la même manière que ce qui m’est familier. Envie d’entrevoir cela.
Une dimension particulière liée aux matériaux : les seko, les techniques de construction, les cases, les greniers, leurs rapports avec les maisons en dur. Image de ces stocks de matériaux de construction qui me faisaient penser, en passant en voiture, qu’il y a là tout pour construire un théâtre.
Puis développer une proposition d’espace de (re)présentation, un abri entre exposition et spectacle interrogeant en quoi un territoire, ses habitants, des pratiques de l’espace peuvent nourrir la création d’un lieu extra quotidien, de (re)présentation, poétique.
Jouer à produire du contemporain avec ces éléments de langage quotidiens.
Cette attention aux pratiques de l’espace n’est pas une attention à la différence, mais au quotidien. Il se trouve simplement que ce quotidien ne m’est pas familier. Aucune recherche exotique là dedans, simplement cette intuition de l’importance d’inventer des espaces proches, familiers aux gens.
En tant que scénographe, je travaille en particulier sur deux points :
La manière dont l’espace construit les conditions physiques d’une expérience de visiteur/public/spectateur. Manière dont il a la possibilité de choisir les conditions de son expérience. Assignation souple, non autoritaire, attentive aux pratiques du corps. Mais en même temps attentive aux conditions, à la qualité de perception de l’objet regardé. Il y a derrière cela un questionnement sur ce qu’est l’être spectateur ; il y a cette idée que les conditions d’accès à l’objet regardé, et en particulier la liberté faite à chacun de se situer librement par rapport à cet objet, d’en pouvoir éventuellement contester ouvertement les termes de sa monstration, sont l’une des clefs de sa réception. Je crois profondément que les gens sont avant tout curieux, et que si on leur donne la possibilité d’assouvir, en confiance, cette curiosité, dans le cadre d’une expérience esthétique, elle n’a guère de limites. Ils sont capables par choix, de faire expérience des choses les plus éloignées de ce qu’ils sont, les plus complexes, les plus difficiles… Ces pistes de recherche sur l’espace scénographique, sur la place du spectateur en lien avec les pratiques de la création, me semblent aujourd’hui extrêmement importantes, car elles travaillent la manière dont on nous donne à voir les choses, le monde. Le propre d’une expérience spectaculaire, esthétique, est aussi, le temps d’une (re)présentation, d’échapper au formatage des conditions du regard, et d’être renvoyé à sa singularité d’individu.
#La relation de cet abri aux environnements dans lesquels nous l’inscrirons. La manière dont cet abri s’inscrit poétiquement dans la ville, dans les quartiers, dont il en déplace le point de vue, et permet aux personnes qui y pénètrent de passer d’une expérience quotidienne, ordinaire, de leur environnement, à une expérience extra quotidienne. Il s’agira en particulier d’une attention aux rapports entre le dedans et le dehors. Manière dont on entre, dont de l’intérieur, on perçoit l’extérieur, dont celui-ci s’estompe jusqu’à disparaître, ou pas, dont il donne à voir l’extérieur, recadre, ouvre ou masque, fermeture, intermédiaires, intervalles. Si l’on pousse cette piste, on pourrait dire que ce lieu serait en fait une stratégie d’occupation d’un territoire existant, la stratégie de son détournement momentané vers un espace d’événement. Un espace-temps extra quotidien et festif.
Ce petit lieu modulable serait pensé et réalisé à destination d’artistes nigériens, gens de théâtre, sculpteurs, musiciens (rappeurs notamment). Il serait fait pour permettre à des artistes de s’en emparer, tout comme une équipe, un artiste s’empare d’un lieu de spectacle ou d’exposition. Je me suis demandé dans un premier temps si j’allais mener ce travail dès le départ en collaboration avec des artistes locaux. En fait, je préfère affirmer un point de vue singulier et extérieur et proposer un lieu, comme une question, une règle du jeu, donnant ainsi la possibilité à des artistes de s’en emparer, y compris en le contestant, en le détournant. Assumer les écarts, en somme, voir ce que cela donne lorsque cette dimension de la prise de possession d’un lieu est nommée comme enjeu d’une expérience. Suivre cela avec attention, avec l’intuition que là se discuterait de l’expérience de perception, de pratique de l’espace. Modalités à préciser avec les artistes.
Il s’agirait de faire circuler cet abri, de ville en ville ou de quartier en quartier, afin d’y proposer au public un ensemble d’expériences dans chacun des endroits où nous l’installerions. Il s’agirait de petites formes, hybrides, improvisées pour certaines associant différentes pratiques entre spectacle, installation, performance et exposition, accueillant dans chaque lieu des artistes locaux.
A Niamey et au Niger, le projet de cet abri est de déplacer, de recadrer, de transformer, par le biais d’une expérience extra quotidienne, dans l’espace temps que cet abri déploiera, la perception des habitants sur leur lieu de vie.
Ces recherches me semblent très actuelles. Elles correspondent à des préoccupations fortes dans les milieux de la création dans les pays dits « du nord ». Ce que je veux dire par là, c’est qu’un tel projet est de nature à enrichir des questionnements et des pratiques de l’espace bien au delà des frontières du Niger et surtout que s’il prend en compte le contexte dans lequel il s’inscrit, il va bien au delà de problématiques strictement « africaines ». C’est aussi cela qui compte dans un tel projet et que j’aspire à mettre en évidence.
J-Christophe Lanquetin
Mai juin 2005