Journal de travail // Workshop with Opiyo Okach // 2010

Journal de travail // Workshop with Opiyo Okach // 2010

Une invitation de Clyde Chabot, à l’Université de Bordeaux // Département Arts du Spectacle.

Notes d’Opiyo Okach, sur cette semaines. Elles sont le point de départ.

MULTIPLICITY / POLYPHONY
– multiple body state
– polyphony of the body
– states of multiplicity
– multiplicity of identity
– multiplicity of image
– multiplicity of objects
– multiplicity of symbols
– multiplicity of space…

Things are changing / evolving all the time
Instability of state
State in constant shift
Tensions of in-between state
Internal opposition
Chaos

Develop these as metaphors for identity
Identity is not a whole, organic, consistent, stable state
Identity as dangerous, chaotic state

BODY SENSE OF MEANING:
– is there a way in which the body generates sense of meaning ?
– does the public perceive such sense ?

FRAMEWOKS FOR AUDIENCE ENGAGEMENT
towards spatial frameworks for the audience engagement at the level of body sense of meaning

Opiyo Okach.

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08/02/10 – Premier jour.

Cela commence comme un workshop de danse. Exploration de l’espace par le corps. Marches, immobilités, sensations… De l’intérieur : « on voit pas pareil, on sent pas pareil selon la position du corps ». Mon travail sera sur l’autre versant : sentir les choses de l’extérieur. Sentir, percevoir. Le lieu est une grande salle de 15 x 26m. Haute. Nous pouvons travailler l’espace. Les étudiants se présentent. Beaucoup disent les pratiques qu’ils ont interrompues à l’adolescence, les instruments qu’ils ne jouent plus. – « Qu’est-ce qui fait qu’on va aller à gauche ou à droite, qu’on change les données dans l’espace ? L’espace se transforme en fonction de vos action ; cela fabrique des sensations. – Ecouter ces changements dans l’espace. A la fois une action individuelle et comment elle contribue à une action collective. » Une grande boite noire. Calme. Le plancher grince.

Un grand ecran au fond de la salle, des pendrillons à jardin et cour, orientent l’espace dans une direction principale, suggèrent une frontalité. Les retirer. Rendre l’espace multi-directionnel.

O divise le groupe. Une partie regarde.  (pour plus tard) Introduire la composante de ceux qui regardent car là, ils sont assis frontal. Par ex, les placer dans différentes positions (bi frontal, mobile, etc…). Et demander à ceux qui « performent » de travailler avec cette composante. Car pour l’instant ceux qui regardent sont de simples témoins. Pas pris en compte par ceux qui sont « en scène ». Dans ces moments où nous sommes témoins d’un acte émergeant, je me demande toujours pourquoi tout le monde observe aussi intensément (outre le fait de faire partie du workshop) : des énergies circulent, des distances, des relations et des espaces s’esquissent, des corps sont en présence et de l’imaginaire s’agrippe sur ces éléments minimaux.

O a de fait pris en compte la direction frontale de l’espace (sa configuration actuelle). Il parle de dimension graphique de la lecture. Je pointe le fait que les choses se lisent comme dans une image et interroge le fait de savoir comment cela fonctionnera lorsque on va déconstruire cette frontalité. Puis il propose des interventions solo. C’est le « corps propre », dans sa singularité qui émerge alors.

« Combien de temps tu gardes quelque chose avant de continuer ? Quelque chose à observer, à être sensible à ceux qui sont dehors. »

Jeux possibles :

– une même expérience avec des spectateurs assis et des spectateurs en déplacement dans l’espace.

– passages d’un état de spectateur à un état de performer. Développer des états intermédiaires, de lents passages, des présences absentes.

Puis, récits d’expériences.

A la pause, j’introduis le mutlidirectionnel comme règle d’espace : lorsque on observe, on peut se placer sur tous les cotés de la salle. Car si nous restons dans une logique de frontalité, avec le temps qui nous est imparti (5 jours), nous n’irons pas loin. Je demande à ce qu’on démonte l’écran (qui fait fond) et les pendrillons. Ils déterminent trop la direction du regard. Manière d’amener un travail sur l’accentuation des différences de points de vue spectateurs (vs regarder en groupe, dans la même direction principale, voir à peu près la même chose). Dissensus (j’utilise ce terme de Rancière).

Trouver une manière de « mener double jeu ». Chez le performer : sur la conscience du corps et sur la conscience d’être regardé. Chez le spectateur : sur la relation entre place (ici au sens physique) et expérience. Peut-être au fil des jours arriverai-je à faire pressentir l’écart qui existe entre ces deux lignes d’expérience, source de liberté, parce qu’irréductible.

Le travail reprend, pour le coup centré sur le corps danseur ; il s’agit de travailler la conscience de la colonne vertébrale.

« Comment se nourrir de ce qui arrive dans le corps plus que construire une danse. On se trouve dans un endroit très personnel alors qu’en même temps c’est un espace public. Difficulté à travailler avec l’extérieur. »

Puis O introduit la relation aux objets et la positiion multidirectionnelle des spectateurs. (cliquer sur l’image pour agrandir). Le jeu produit une série très riche de visions sur le plan spatial et des présences.

09/02/10 – Second jour.

La demande est qu’il y ait une présentation vendredi soir. « On en a besoin pour obtenir les financements » dit C. « Création express », cela s’appelle ici. Le moindre acte financé doit être valorisé ! Impossible en même temps, absurde en tout cas. Quelle forme donner à cette monstration ? Au lieu d’un geste que de fait, vu le temps, nous formaterions sous couvert de notre légitimité d’artistes, comment inventer quelque chose qui témoigne du travail et donne aux étudiants la possiblité de le porter. Nous repensons au processus mené au CND. Il impliquait le public dans un dialogue, dans une position de témoin actif. Et non une position de spectateur. Comment ensuite faire en sorte que ce soient les étudiants qui portent ce temps de présentation, entre répétition et improvisation.

Au début de la séquence de travail, O nomme très bien le fait qu’il est à base d’improvisation et non de répétition. Nous parlons de « base de données / database ». Comment « l’instant est créateur ». Il y a une clef là, une forme de résistance, chez O, au fait d' »écrire », de chorégraphier un spectacle (ce qui n’est pas du goût de beaucoup de programmateurs). Evidement cela demande aussi une grande expérience de l’improvisation (ou une acceptation de la part des spectateurs de cette règle autre), car ici tout tient sur la virtuosité et la grâce de l’instant.

Par ailleurs, je demande aux deux étudiantes en Master, qui observent le workshop, d’écrire des récits de spectatrices. De travailler à partir du « je », sans pour autant s’interdire une liberté d’écriture allant de la description à la fiction, y compris l’analyse. En fait je leur demande d’être à l’écoute de ce qui arrive dans le temps d’une expérience de spectatrices. Manière de faire émerger l’écart entre ce qui arrive de la part du performer, et ce qui arrive chez le spectateur. Rappel : « BODY SENSE OF MEANING: – is there a way in which the body generates sense of meaning ? – does the public perceive such sense ?-. »

Image : l’un des dispositifs que nous allons expérimenter. Il s’agit de la table/espace de danse (ici à Montpellier) >>>

Ce travail sur l’improvisation et l’instant ouvre au fait que l’écriture se détermine peut-être plus par l’espace que par l’écriture chorégraphique : par les dispositifs, assez formels, assez construits, qui rentrent en dialogue avec le corps improvisant/performant. C’est le principe qui a fonctionné au CND.

Les étudiants ont visiblement beaucoup de plaisir à travailler corporellement. Ils y consentent avec beaucoup de joie.

O parle maintenant de « fabriquer des traces qui restent dans l’espace et de travailler avec cela. » Discussion : peut on revenir sur la trace ? « C’est surtout la mémoire de la trace qui compte ».

Puis dimension de peinture collective. Les étudiants sont répartis sur 3 cotés, assez espacés. 3 sont au milieu. Cliquer sur l’image pour l’agrandir. « Ces traces peuvent êtres gestuelles, mais aussi (mot perdu, je pense que c’était : mental) – O se déplace nettement dans l’espace, il sautille à reculons, fait des gestes nets du bras, etc…-« . Nouveau groupe. On est à la fois dans la recherche sur la trace et dans celle sur la dimension de peinture collective. Puis introduction de la musique live.

Les étudiants ont un désir de plateau, de travailler corporellement. Comment introduire la question du spectateur et des espaces plus définis. Nous décidons de tenter un dispositif qui divise le groupe en deux, performers et spectateurs, mais tous en mouvement dans l’espace. Et, les performers, à leur rythme, deviennent spectateurs, alors que les spectateurs, à leur rythme finissent performers. On met donc en place ce principe. Reflechir au spectateur/perforer, au rapport scène salle, à partir d’une variation d’états de corps. De glissements de l’un à l’autre. Je parle de Shift/center, de ces glissements qui se produisent à partir du moment où le spectateur n’est pas assigné, mais peut choisir la manière dont il fait expérience. Ainsi les états de corps se rapprochent, ou du moins peuvent. Ils varient beaucoup par rapport à un lieu où la seule possibilité est de s’asseoir. Je parle aussi de la contrainte faite au spectateur, du fait de lui laisser le choix.

7 performers/spectateurs. Premier réflexe, les spectateurs jouent à observer. Une étudiante est plus libre dans ses états de spectateurs, elle ne les joue pas. Puis presque d’un coup, elle repasse dans un état performer. En fait ils performent par rapport aux témoins, y compris les spectateurs. Seconde expérience. On voit que ce sont des états. Il y a aussi les états où l’on va pour performer. Peu regardent, cette fois. Ils sont entre perf et aller vers un état de performer. Ou des immobilités posées et regardant. Du coup effectivement cela développe une forte attention entre eux. L’attention circule à l’intérieur du groupe et hors du groupe, en tant que témoin on cherche qui est qui. La troisième expérience concerne tout le groupe. Elle est plus individuelle, plus flottante, aussi parce que les performers sont peu aguerris. Le rythme est assez commun guidé par la basse et le saxo qui nous accompagnent, les distances restent le plus souvent moyennes (manque d’expérience de l’adresse, de l’aller vers, etc…). A la discussion, ils sont passionnés par l’expérience, par le fait que la limite entre les deux états est si infime, presque indéfinissable. Les questions, les troubles fusent. A partir du moment où effectivement la convention s’estompe, la fluidité des états est particulièrement intéressante. Discussion vive.

Je me demande, après, si les modes d’expérience spectateur ne seraient pas en train d’évoluer avec cette génération. Plus émancipés, plus autonomes, plus individuels. Aspirant à des expériences et ne consentant pas aux seules assignations. (préciser).

10/02/10 – Troisième jour

cliquer sur l’image pour agrandir > c’est une série non décrite ci dessous >

Nous installons le dispositif vidéo. Difficultés. Le vp n’est pas assez puissant. Le pied de caméra rend difficile l’angle pour filmer (faute de déport ou de possibilité de suspendre la caméra, on installe le manipulateur à la table sous le pied), et le plancher doit être couvert d’un tapis de danse blanc. A la fois on a le matériel, mais on bute vite sur des obstacles techniques. Par contre l’aire couverte par le vp est grande, une vraie aire de danse.

Reprise du travail avec les étudiants. Beaucoup sont en retard bloqués par une panne de tram. Quelques un ont d’autres activités, ce qui me gène toujours. O les fait travailler sur le contact, le poids. La première partie de la séquence est consacrée à du travail corporel. /plus tard/ Du mal à me concentrer. Surtout, le travail est laborieux, ce qui est normal, il faut du temps pour faire émerger des choses avec des débutants. Travail sur des séries de « tableaux » en mouvement. Dimension de sculpture. Puis chacun prend un objet. « 3 personnes avec leurs objets : organiser l’espace avec la présence des objets. Questions de relations, non symétriques, de constructions dans l’espace ; trouver du sens. » Un étudiant est à la basse.

Dans le dernier temps de la journée je fais un récit de spectateur des deux dernières improvisations.

Deux récits de performance :

17:16 – Travail sur les objets – « la théâtralité vient vraiment des choses placées, des éléments et des déplacements qui se passent dans l’espace, plus que l’envie d’exprimer une émotion, une tension ; ça vient de la place des choses, quelqu’un qui prend un objet et le place dans un lieu, plus que dans le fait de jouer quelque chose. Ca se fait en lui-même. » –

  1. Quadri frontal, distance moyenne. Un garçon, une fille, un œuf blanc, un foulard rouge. Un étudiant pose une raquette au sol, lentement, un pendentif dans l’autre main, marche, met le pendentif sur l’œuf > objet précieux, Fabergé ; G regarde la F, elle regarde le foulard, je la vois de dos prendre le foulard, le déplier comme un fichu sur le dos, G attrape le foulard, se couvre la tête > grenouille rouge, avance en rampant > animal, F met l’œuf le haut du dos de G, il roule, il essaye de le retenir, s’allonge > jambes comme une nage. G enlève le foulard, ils regardent l’œuf dans sa main > ne me dit pas grand chose, je vois, c’est tout. G court à reculons avec l’œuf, le regard, le sépare du « pendentif », une clef usb ? (les objets intimes demandés le sont-ils vraiment ?), sons stridents (des musiciens), gestes circulaires, puis raquette, posée au sol, vif, rapide, culbute > pas d’image. F allongée > un peu comme un bébé, dort, avec le fichu rouge, sauts sur raquette, comme un siège, F regarde, elle lance le foulard rouge, la raquette tombe, il tombe, il emballe la raquette dans le foulard > précieux. G tire la fille par les bras, elle allongée au sol, il s’assied derrière elle, elle se retourne, ils glissent au sol autour de l’oeuf > poissons, serpents, sauts, reptilien. Sauts, œuf dans la main > gestes un peu précieux genre Cyrano, O demande : « un qui rejoint ». Jeu autour de l’œuf montré en offrande, F le repose au sol ; le garçon sort, une fille (F2) entre avec une boule bleue en main, nouveaux jeux > reptiles, la boule bleue tourne au sol, 0 : « demande aux spectateurs d’aller dans le coin du fond ». F2 est seule avec l’œuf et la boule, nous regarde, ne sait que faire, gestes, interruption, il y a eu une incompréhension. La fille reprend, en solo, un garçon (G2) entre, veste verte et pantalon jaune, F2 lui tend la boule bleue puis roule au sol, il glisse, patinage, jeux de corps, positions fixes, elle fait rouler l’œuf vers lui, debout, il sort des clefs ? (je vois mal) pendues au bout de la main, elle, position penchée, jeux de danse, debout, couché > pas d’image, sont entre eux, projettent peu, je sais pas si j’ai un espace spectateur, le fichu rouge, jaune vert, les objets sont oubliés, fichu rouge, enlacements, corps, sol, rien, pousse l’œuf, le roule. J’attends, je regarde, difficile de suivre, rien ne me vient, allongés encore, souvent les étudiants jouent de ces allongements, traînements ; elle le fait tournoyer, il tournoie, c’est vif, elle est immobile au sol, comme morte, couchée après la chute, lui se couche sur elle, en sens inverse, roulements, jambes, rien, rien c’est entre eux, ils sont loin, tombent sur la raquette, il glisse dessus, tombe, vert jaune, elle tee shirt rayé, , O : « et arriver à la fin. » G2 et F2 se relèvent.

2. O : « La première organisation, construction, c’est celle des spectateurs : décider comment dispatcher les spectateurs, dans au moins trois endroits. Et puis le reste suit. » –

Les étudiants nous placent en 3 groupes, en diagonale 2 dans les coins et 3 filles assises au centre. Dès le début un G avec la raquette fait peur à une spectatrice qui crie « oups ». 3 filles et 2 garçons dont un est corpulent, il est très léger sur scène, précis, présent, immobile, là. Les 3 filles font toujours les mêmes gestes, groupe, couché, touché, le G fort lève l’une d’elles et la tire vers le foulard rouge, l’autre G ramène la raquette, saute sur le gars fort, 2 filles couchées devant moi, une assise > trop de gestes, ne me dit rien sauf le gars fort dont la gestuelle me touche, il s’empare des autres, les manie, le gars en rouge glisse, il est basque, il glisse vers nous et dépose la montre devant O qui est à ma droite. Le gars fort est allongé, se lève, lève et manipule une spectatrice du groupe central, lui fait rejoindre les autres filles (elle devient performeuse), courses, regard pano, glissements, sauts > à nouveau les objets sont secondaires, les corps priment, s’agglutinent se collent, une fille pose la raquette sur le ventre d’une autre, porté entre garçons > sa force est décidément intéressante, car légère mais très présente, je n’imagine rien, focalise peu, me lasse, une sorte de vrac, les actions sont très individuelles, sons de bouche au micro, t tt tt tt tt tt … Sifflement… les objets ne priment pas, les corps se cherchent se cherchent, tt tt tt t t, tt t t… O : « c’est la simple organisation des éléments dans l’espace, ne pas oublier » >  ils ont du mal avec ça n’ont pas encore compris qu’on peut en faire beaucoup moins, attraction des corps entre eux, recroquevillements fœtaux, positions de douleur, l’espace n’est pas pris en compte, ou parfois, il y a quand même des directions, des distances, des positions fixe, une avec raquette levée > je vois le jeu, le stade, mais l’image passe, ne joue pas. Corps de nouveau > si elle rejoue avec la raquette, ça pourrait renvoyer à une suite, à de la mémoire, mais s’arrête, je ne vois pas comment leurs imaginaires travaillent, je n’ai pas de visions. Se regroupent au centre, une fille entre en jeu avec des lunettes roses en forme d’étoile, O : « on arrive à la fin, constituez la résolution ». Se mettent en groupe au centre. Le gros porte le petit, cheval, il lui écarte le bras, ondulation, le petit -en rouge- joue au prince sur son trône, tout le monde rit, donc voit quelque chose, enfin… (mais littéral, immédiat) les G ouvrent la grande porte – en fond de salle- et sortent, reflet du soleil sur le noir brillant de la porte ouverte.

Les Etudiants : «les spectateurs au milieu, ça fait comme des objets sur le terrain, on a envie de les utiliser. – diagonale intéressante > si on met des spectateurs au milieu, on risque (ils prennent le risque qu’on) de les martyriser… – si ils sont au milieu ils ont choisi, ils prennent des risques ». Pourquoi disent ils cela ? Ils parlent d’attaque, de prendre à parti les spectateurs, etc. Parlent de danger du spectateur. Une étudiante dit que le mot performance lui fait un peu peur (c’est associé au fait qu’il y a un risque de se retrouver en jeu, comme forcé à cela). Comme s’ils ne prenaient pas en compte le jeu entre distance physique et distance scénique. Souvent vu cela chez les étudiants. O : « Comment je me cadre, proximité – distance, est ce que cette action est cadrée frontal, ou latéral ? Comment on me regarde, on me perçoit, ouvre la manière dont dans l’espace on se lit, nous même. Comment le performer analyse, articule, lit, l’espace. Comment il enlève le fait que le devant est pas forcément le devant, l’action doit être vue dans toutes les directions, devant derrière diagonale, complètement ouvert ». Parle de « liberté dans le fait que l’action est vue de plusieurs points de vue ». Reparle de simplicité des choses, d’organisation de l’espace, « et à partir de ça les choses émergent, pas besoin de chercher, ça émerge tout seul, si l’organisation de l’espace. Juste le fait de se déplacer, derrière, devant, avoir le temps de voir ce qui se passe réellement, parce qu’en fait, comme vous êtes 5, on est pas obligé que tous les 5 fassent des propositions en même temps. Chaque fois qu’on fait une proposition, elle existe par rapport a toutes les autres, comment trouver une économie ? ».

Fin de la journée.

11/02/10 – Quatrième journée :

Comme toujours pour commencer, travail du corps. Nous devons ensuite travailler avec le dispositif vidéo.

En fait, multiplicity/identity est un peu passé au second plan. Nous n’avons pas le temps d’aborder cela car les étudiants doivent d’abord passer par une série d’expériences de plateau, notamment dans le rapport à l’espace, avant de pouvoir rentrer dans une dimension de pensée, de contenu, et travailler à sa mise en visibilité, en corps, en espace, devant un public. Là, ils roulent par terre, en groupes, piaillements, rires, jeu. Ils s’amusent, visiblement. Et aussi, j’imagine, dépasser les pudeurs.

Avec O, en parlant de la présentation de demain, on se rend compte que demander aux étudiants de choisir par ex, la position des spectateurs, est délicat (on l’envisageait en début de semaine). Leurs intuitions sont encore trop peu fondées. Par contre, définir ces positions avec eux.

15:20 : travail avec le dispositif vidéo/scéno performative. Première série d’expérimentations.

Cliquer sur l’image pour agrandir >>>

Un étudiant à la table intervient sur le sol de l’espace avec des batons, une balle, des bouts de carton… L’espace interagit avec les performers. Des histoires commencent à se raconter. Autour, aux micros, les étudiants inventent des sons, des fragments de texte, des éléments musicaux. Jeu avec les lignes, les espaces qui changent… Des histoires se racontent. Le dispositif fonctionne lorsque les interventions sont abstraites, spatiales, précises… Par les empilements de bandes de carton, certaines sombres, d’autres blanches, l’espace se creuse. C’est juste une image mais on ressent des épaisseurs (celle du carton), les ombres y participent. Sur une série de bandes sombres qui coupent l’aire de jeu en deux, la manipulatrice met des bandes claires, perpendiculaires, et cela recreuse, réouvre un passage entre deux zones. Etc. Aussi, plus c’est simple, une ligne qui coupe l’espace, plus c’est fort.

Une guitare installe un univers sonore mélodique, des mots  » espacer… lisser… (un temps entre chaque mot) préférer… jauger… voler… détester… doué… escalader… quitter… (…) accueillir… se souvenir… « , quelques uns alongés autour de l’aire, d’autres en jeu, une à la table, tous mobilisés autour du plateau.Ils rentrent, ils sortent, beaucoup se passe à l’horizontale. O :  » sur scène, pensez à modifier la dynamique ». Apparition d’un son de saxophone. Cela travaile sur la durée, O laisse avancer l’improvisation. Les derniers mots sont « espace vide »

Quelques images de ce qu’il se passe autour de l’aire vidéo.

Cliquer sur l’image pour agrandir >>>

Avec cette expérimentation, je me prends à imaginer un spectacle dont le dispositif scénographique ne serait qu’un ensemble de surfaces d’apparition. Sol, parois. Le travail de ces apparitions, changements d’univers, de textures, de matières, se ferait en direct. Scénographie performer.

18:22 : O lance un dernier travail autour des objets. La concentration s’est un peu perdue. Certains sont partis. Mais elle revient dès que l’expérimentation reprend. Nous sommes revenus à l’espace d’ensemble et l’expérimentation est collective, tous sont sur le plateau.

Cela déclenche du projet :

Un dessin d’espace fait le soir dans un bar à vin, en mangeant du foie gras. Dispositif possible pour un spectacle intégrant ce disposiif vidéo. Cliquer sur l’image pour l’agrandir >>>

Et, le lendemain, réflexion sur des dispositifs de travail :

– Le jeu de passage entre état de performer et état de spectateur. Cette expérience a troublé les étudiants, mais nous n’y sommes guère revenus. Préciser comment on peut amener à de lents états intermédiaires, des glissements, des présences absentes, etc… Manière de travailler la relation performer/spectateur comme des variations d’état et non comme des conventions. _ C’est comme dans une fête. On danse, puis on s’arrête, on va en bord de piste, on observe, on focalise sur quelqu’un le rythme nous met en mouvement mais nous restons immobile. C’est comme la cour de récréation, les allers retours entre l’état de jeu et l’état périphérique._ (sur cette question du jeu, revoir Huizinga, Homo Ludens, & Nicolas Grimaldi, passages dans : Une démence ordinaire).

– Le dispositif vidéo scénographe/performer, bien évidemment. Voir les notes et images ci dessus. Travailler le système de projection vidéo, et aussi le fait que la vidéo définit une « scène ». Est-ce la seule option ? Comment travailler par exemple sur des apparitions de projection dans un espace/sol non défini par la base image ?

– Expérimentations croisées : Un chorégraphe (ou metteur en scène) travaille avec un groupe sur de la perf, du jeu d’acteur – c’est probablement plus aisé avec la danse, et des improvisateurs -. Simultanément, je travaille avec un groupe sur des questions d’espace. A partir d’un enjeu commun ; Multiplicité-identité fonctionne bien pour cela. Deux recherches parallèles. Et on gère la rencontre, voire la confrontation entre des propositions performatives et des propositions d’espace, de place du spectateur. On peut ainsi expérimenter la même proposition performative dans des relations différentes au spectateur, etc… (Nb : je l’avais fait en 2000, avec des acteurs et une metteur en scène, et j’avais été confronté aux réticences des acteurs face à un espace dont ils ne connaissent pas la nature ; est-ce propre à l’état d’acteur, ou bien à la frilosité des acteurs en France ?).

– Trace/Mémoire : O a mené une expérimentation autour de la trace/mémoire du geste dans la danse. Matérialiser cela par des dispositifs de capteurs. Piste à creuser. Voir ce qui se fait en la matière.

– O suggère un travail sur les « autres » sens, que la vue. Où la vue n’est pas dominante, dis-je. Autour de la perception haptique.

– … (To be continued).

12/02/10 – Dernier jour

Début à 13:30 comme chaque jour. A 13:50, il y a une petite dizaine d’étudiants (sur 17). Cette manière de faire toujours les choses « parmi d’autres », dont certaines sont de vraies obligations, qui complique l’espace temps du travail. C’est pareil à Strasbourg et j’ai du mal à m’y faire.

La présentation commence à 18:30 et durera 2heures environ. Son principe est de continuer le travail, mais devant un public, et d’impliquer les spectateurs entre les séquences.

Cinq improvisations sont prévues

– Making signs – spectateurs en mouvement dans l’espace, au milieu des performers.

– Bodies and spaces – fragmentation des positions de spectateurs (immobiles par groupes)

– Objects and bodies – espace en cercle, spectateurs assis.

– Projection and text – l’espace vidéo, frontalité sur un gradin.

On va proposer cela aux étudiants, traverser les 4 une première fois avant 18:00. Cela va peut-être changer. En fait, ca change déjà. Certaines séquences seront faites de plusieurs courtes propositions. Et de plusieurs positions spectateurs.

Dans l’après midi :

Voir images des séquences décrites, cliquer pour agrandir >>>

Travail autour des positions fixes, immobiles. Des suspensions, « en léger déséquilibre… Et aussi des signes, constitués par un geste… Des signes qui sont simplement un déplacement, ou quelque chose de léger, qui ne traverse pas forcément tout l’espace… qu’il y ait différents registres de signes. Parfois c’est une réponse au signe d’un autre, comme ça c’est un vaste registre possible de signes, certains sont ronds, d’autres cassent l’espace (écarte les bras), d’autres sont légers. C’est une musicalité possible de signes…. C’est peut-être aussi des choses qui sont en cube… Variations de direction, répétition des choses, mémoire des choses faites par les autres et qu’on reprend quelque part. » Plus tard, il ajoute :  » le signe peut être constitué de multiples possibles (donne un exemple d’enchainement de trois signes), varier entre des mono signes et des multiples. »

Travail sur les objets : « que les objets soient le centre, mais la tâche est qu’on organise cet espace en placant les objets dans des dispositions stratégiques, des relations… Placer, faire évoluer en utilisant tout l’espace. » – « On s’asseoit tout autour, puis un par un on va placer les objets dans l’espace. » (première étape de la séquence). Pas d’image de cette partie, les objets sont tous seuls dans l’espace.

Suite de la séquence :

Récit : 1, pousse un tabouret, elle est assise au sol, et glisse en poussant le T avec les pieds, habillées en noir.  O interrompt : « une fois que tu auras mis, tu sors. Puis un autre… ». 2, un baton à la verticale au bout de la main ; O : « attends qu’elle sorte avant de… » dit il à la suivante. La suivante, 3, rampe et pousse une tête de manequin de la main gauche. 4, arrive avec une balle bleue qu’elle fait tournoyer dans sa main et pose à coté du tabouret. 5, pose la bouteille en courant. 6, se roule avec une boite de cigares, la dépose, roule dessus en sens inverse. 7, avance avec un éventail et le pose au pied du tabouret. 8, marche et dépose un crécelle (?) verte sur le tabouret, pendant ce temps 9, est passée avec un chausson rouge et 10, a lancé un petit instrument en bois. 11, dépose délicatement la montre à gousset près de la bouteille, c’est le garçon corpulent, 12, court avec le fichu rouge et le lance et se roule au sol. Etc… Un paysage d’objets seuls difficile à photographier, car vaste, apparait.

Les E sont assis le long des murs…

Lancer de chaussette, roulé de tapis de sol… O : « Ok, bon, une question, il y avait qq ch ds la consigne qui fait que l’objet soit le plus important… plus que la personne qui… amène l’objet. Essayez de penser est-ce que vous avez remarqué un comportement de porteur d’objet plus présent que le moment ou moi… L’objet doit être plus présent que le porteur. Qu’est ce qui fait que c’est l’objet le centre de la proposition ? » Puis : « deux par deux, on va réorganiser, est ce que c’est vraiment comme ça qu’on voulait… un objet caché par l’autre, certains objets sont trop importants, d’autres deviennent insignifiants… De la manière que pour vous deux cela fait sens… » Une étudiante ouvre sa boite de cigares pendant qu’une autre prend la crécelle verte et couche le tabouret, puis remet la crécelle dessus (sa crécelle si je me souviens bien). Deux autres : l’instrument et le rouleau de tapis de sol, l’instrument devant le tabouret couché et le tapis est déplacé avec le baton posé dessus. Le tissu rouge est déplacé, la tête transporté près du tapis de sol et du baton. La bouteille de vin est mise dans un coin, le gant (chaussette) sur la crécelle, tout cela forme des compositions, est-ce ce qui est demandé ? La montre aussi va sur le tabouret… O : « trois personnes qui réorganisent, comment faire parler ces objets ». Un E fait rouler la boule bleue, une autre déplace sa boite de cigares, le baton rejoint la bouteille… > Faire parler les O est ce les grouper ? L’éventail est éloigné de la chaise, tout le dispositif chaise est revu, chaise à l’envers, instrument et chausson rouge dans la boite à cigares… O : « on continue, on ajoute des corps dans l’espace… entre des corps et des objets. » Les corps deviennent un peu plus objets (enfin).

Des relations s’esquissent.

O : « on va ajouter de la musique ». Des sons apparaissent, en faisant tomber la crécelle. L’éventail devient percu, tapotements sur le sol, une voix, plainte légère, L’espace immobile jusque alors, s’anime. Les relations entre corps et objets se déploient,… enfin. O confirme, enfin il commence à se passer des choses en termes d’espace. Lenteur, les choses deviennent plus petites, plus légères, pas toujours plus lentes, les rythmes, les intensités se diversifient. (…). Ils finissent tous allongés, dans une relation aux objets, posés sur eux, sous eux, main vers, corps devenu aussi immobile que l’objet, les regardant… « Et fin ».

Retour :

O : « Comme vous faites assez peu avec vous même les objets commencent à prendre leur place, les choses commencent à arriver, des vraies images, des mystères, plus ouvertes dans le sens poétique, plus ouvert pour l’imagination de ceux qui regardent… dans lequel on ne fait pas de commentaire en faisant… c’est complètement fermé… l’idée qu’on pose simplement ici parce que c’est à coté d’autre chose, ca commence à ouvrir le sens. Il y avait des choses assez ludiques le premier jour, mais là il y a le coté de laisser les objets vivre. »

Puis O définit les placements public :

Pour les objets, une version vaste (assis le long des murs) et un cercle. Dans la partie ouverte, que fait on avec le public : je propose un bi-frontal en angle, deux fonds, et deux angles d’adresse, car sur le dernier exercice, les étudiants ont adressé à la face, car O et moi on était assis du même coté.

Pour Body and space, O propose multi space, mais fixe. N’est pas convaincu par la diagonale de l’autre jour (les trois groupes dont celui au milieu, voir plus haut). Multi direction et plusieurs centres d’action. Demande aux étudiants leur avis. 3 pôles sont proposés.

Un break est demandé par les E, on reprend après. En fait après, nous trainons, et ne reparlons pas de cela. Je mets en place le dispositif vidéo en avancant la table, en préparant la position des deux gradins que nous installerons. Opiyo parle aux étudiants, tout le monde se prépare.

18:35 : Présentation publique

Une grosse vingtaine de personnes sont là.

Donc d’un seul coup ça fait du monde dans le lieu.

1. « Making signs ». Evidemment, une certaine timidité du public, qui s’installe plutôt en périphérie. Assis (alors que la déambulation est permise). Je marche mais me sens géné. Les étudiants travaillent plutôt bien. Je ne sais pas ce que les spectateurs expériencent tant on est proche du travail d’origine, minimal. Les E ont compris les jeux de correspondances, elles sont perceptibles, alignements, positions qui se déclinent sur plusieurs personnes, reviennent. De l’imaginaire vient.

Coupure internet. Je perds les premiers commentaires spectateurs. Autour du fait que ils ne se sont pas déplacés dans l’espace comme souhaité (disent ne pas avoir osé), mais se sont installés sur les 4 cotés. Que pourtant l’expérience était intense, car multifocale. Parlent de leur timidité à se déplacer. Les étudiants témoignent du fait qu’ils avaient de nouveaux enjeux avec la présence du public.

O : « Est ce qu’on arrive à regarder derrière, est ce qu’on arrive à changer des conventions établies ? Est ce qu’on peut créer un espace ou on ouvre certaines règles… » Sp : « le rapport frontal était très respecté, je me suis pas senti en lien direct » … Parlent de la diff à eux même se donner de la liberté.

2. Bodies and spaces. Proposition d’une configuration de placement pour le public, avec les étudiants.  5 groupes sont placés, formant un cercle atypique, décalé. Impro au centre, par petits groupes. Musique, saxo et basse. Les E prennent des libertés, s’approchent des spectateurs. Travail en duos, plus un troisième qui tourne autour d’un groupe de spectateurs, le cercle est interrompu, ca permet des hors champ. La tentation de la proximitié avec les sp est grande. Les sp se prètent au jeu, sont intéressés. Il est déjà 19:23, le temps passe très vite. Beaucoup de rampés, mais à nouveau les E sont assez centrés sur eux mêmes. L’espace est peu pris en compte, sinon les corps nouveaux. Mais bon, il y a « bodies ». Aucune vision n’est frontale. Un groupe danse sur les genoux des spectateurs, qui sont probablement des amis, puisque la plupart sont étudiants. Recherche des ouvertures, des passages, des hors champs. Mais le centre reste très/trop présent.

O interrompt, change les performers et brise le cercle implicite en créant des directions de regard franches et différentes : tout le monde ne regarde plus dans la même direction. Un franc multifocal, des micro scènes qui communiquent entre elles. Et le jeu fonctionne à nouveau. Je filme les mouvements de tête de spectateurs. Toujours quand la forme est précise, l’espace dessiné, du sens émerge.

Dans la discussion qui suit certains spectateurs disent leur réserves dûes au fait qu’ils ne pouvaient pas tout voir. Pas de vision d’ensemble, obligés de déplacer leur corps, de tourner la tête.

3. Bodies and objects. Les spectateurs sont disposé en L, sur deux faces. Du coup les étudiants se mettent sur les deux autres faces. Le travail commence par la mise en place des objets. Déposer dans l’espace. Lente. Puis le travail de replacement, de jeu avec commence, rapide. Et ca part. Traces de cela dans les images. Cliquer sur l’image pur agrandir >>>

4. Projection and text. Les spectateurs sont sur un gradin en frontal. Au milieu, nous avons avancé la table de jeu. Les mouvements à la table restent timides. Pas grave. L’univers visuel est là, une certaine pénombre, due à l’équilibrage entre vp et latéraux, afin que l’on voie l’image au sol. Changement d’étudiante à la table. Les mouvements restent simple, moins l’intuition des espaces et des rythmes qu’hier, peu de tension entre les mouvements à la table et les performers. Est-ce parce que je leur ai suggéré la modération ? Problème de son, panne de micros. La troisième séquence a pris, la dernière ne marche pas autant qu’espéré. O : « résolution », mais cela continue. Il est 20:30 des spectateurs arrivent. La basse s’estompe. Mais rythme encore le temps. Parmi les spectateurs, une personne en chaise roulante. Le plateau est vide, fin du workshop. La lumière se rallume. Discussions informelles.

Là, on va boire un verre. Fin des récits.

jcl