La marche des encombrants // Scénos Urbaines, Strasbourg // juin 2019

La marche des encombrants // Scénos Urbaines, Strasbourg // juin 2019

La Marche des Encombrants est un projet mené dans le cadre d’EXTRA ORDINAIRE, Scénos Urbaines à la Meinau et du Neuhof / Strasbourg, à l’invitation de POLE SUD, avec l’Espace Django et de la HEAR.

Un projet avec les équipes de l’entreprise d’insertion Meinau Services et les musiciens des écoles de musique de la Meinau et du Neuhof. La marche a eu lieu le 15 juin 2019 à la Meinau. Elle donne une visibilité aux équipes qui chaque jour ramassent les détritus, sortent les poubelles dans les rues du quartier. J’ai transformé les déchets récupérés dans le quartier en assemblages sculptures et une partie de ces assemblages a été réalisée lors d’ateliers avec les personnels de Meinau Services. La marche circulait au pied des immeubles afin d’attirer l’attention des habitants avant de se terminer dans le parc Schulmeister.

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La Marche des Encombrants is a project carried out within the framework of EXTRA ORDINAIRE, Scénos Urbaines in la Meinau and Neuhof / Strasbourg, an invitation by POLE SUD, with Espace Django and La HEAR.

A project with the persons working at Meinau Services, and with musicians from the music schools of Meinau and Neuhof. The march took place on June 15, 2019 in the Meinau. It gives visibility to the teams who pick up litter every day and take out the trash in the streets of the neighborhood. I transformed the waste collected in the district into sculptural assemblages and part of these assemblages was carried out during workshops with the staff of Meinau Services. The march circulated at the foot of buildings to attract the attention of residents before ending in Schulmeister Park.

Les ateliers à Meinau Services :

 

Les dessins :

Une pièce vidéo (en cours), un ensemble de plans séquences accompagnant les personnes dans les différents contextes où elles travaillent.

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Marche des encombrants

Balayage de voiries, nettoyage d’espaces verts, conditionnement des ordures ménagères, évacuation et mise en retraitement d’objets encombrants, déneigement des entrées d’immeuble, trottoirs, voiries, etc., aménagement végétaux (floraux et arbustifs), plantation d’arbres et d’arbustes, pavage, dallage, pose clôture, création de surfaces engazonnées par semis ou plaquage – Entretien des espaces verts, tonte de petites et grandes surfaces (sup. à 20 000 m²), débroussaillage manuel et mécanique, taille haies, arbres et arbustes, remise en état de gazons (scarification, regarnissage et amendement), binage, bêchage, désherbage manuel et mécanique, remise en état et entretien de jardins particuliers, taille d’arbres fruitiers, entretien et rénovations des sols, entretien du mobilier et des sanitaires, nettoyage de vitres – Lieux d’intervention : habitat social, parties communes d’immeuble – Secteur tertiaire : sièges sociaux, bureaux, administrations, collectivités,  – Locaux techniques : centres de soins, laboratoires, gymnases…

Une intuition hante la Marche des encombrants : comment faire en sorte qu’un tel projet dure un temps de vie, comment ne pas s’arrêter. En allant vite [ici, quelques mois], j’ai le sentiment de prendre, voire de voler quelque chose, particulièrement en photographiant, en filmant. Ce sentiment est probablement excessif, mais il me rend attentif au processus, à la manière dont les situations se construisent dans une compréhension et une intelligence commune. Il s’agit des personnes, d’une forme de responsabilité prise en les impliquant dans le dispositif. Il n’empêche, lorsque le projet s’achève, ce sentiment revient. Avec la Marche des Encombrants, je n’ai pas trouvé cette temporalité longue, au delà de ces quelques mois et de l’événement, joyeux, qu’a été la marche dans le quartier. Cela me renvoie à la place de ma pratique artistique, à l’envie d’une inscription durable dans un contexte, ou au contraire à quelque chose de furtif, mystérieux. Pour qui et comment travaille-t-on ? Pour nous, pour les gens ?
Un tel projet devrait rythmer la vie, dialoguer avec le quotidien, par delà le geste esthétique et la logique de sa monstration, trop dépendante des conventions du monde de l’art. Et puis, je ne peux m’empêcher de penser au sentiment de dépossession laissé par tant d’artistes après être passés.

Les situations sociales, les représentations croisées, les parcours de vie, le contexte entraient en résonance avec des enjeux personnels d’origines sociales qui me rendent attentif aux contextes et aux vies qui ne sont pas mienne. Comment alors accomplir le geste au mieux, avec ses limites, mais aussi le fait qu’il a eu lieu : les ateliers avec les personnels de Meinau Service, l’accompagnement lors de leurs tournées du matin et bien sûr la marche dans le quartier. On ne peut dire ce que chacun a vécu, ressenti. Au delà justement des représentations croisées, des attentes, partagées ou non. Assumer l’opacité [au sens de Glissant] de l’expérience de chacun est une manière de respecter, de s’inscrire au coeur des écarts.

Je me sentais bien à travailler à Meinau Services, assez libre à jouer avec les cartons et autres déchets collectés par les équipes lors de leurs tournées. Ils remplissaient cette salle de réunion d’habitude si propre, transformée en atelier. Les équipes m’apportaient ce dont j’avais besoin, parlaient de leur travail, c’étaient des situations intéressantes, pour certains d’entre eux, pour moi. Pas d’hostilité, du silence, une curiosité ou un désintérêt, jusqu’à intervenir, accompagner. Et s’amuser.
Circuler dans le quartier, être là, suivre les tournées du matin très tôt, accompagner les équipes. Dans les parcs avec les piqueteurs ; récit de l’activité de ce laboratoire médical par Christèle qui le nettoie chaque jour, au petit matin. Précise, intéressée, intéressante, elle connaît bien ce qu’il s’y passe, fierté d’en faire partie ; sortie des poubelles avant l’arrivée des éboueurs, ramassage des ordures jetées par les fenêtres des immeubles le week end, tour des cages d’escaliers, des caves ; rouler au petit matin dans le quartier ; nettoyage du stade de la Meinau après un match, d’un gymnase. Importance des horaires.
Parfois ma présence était tolérée parce demandée de la direction, mais pas vraiment bienvenue. Méfiance, pudeur, pas envie de. Le contraire, souvent, une envie de raconter. Opacité à nouveau. M’arranger de cela, filmer de dos. Moments, avec Lucasz, musicien, lors de la sortie des poubelles des immeubles, le boulot le plus dur, le moins valorisant. Le simple fait de venir tôt, d’être là, de discuter.

Foutoir joyeux et loufoque des ateliers collectifs de fabrication des objets à partir des déchets [repas offert, heures payées, c’est important], incongruité de la présentation du projet devant les personnels, et en assemblée générale. Sentiment de franchir brièvement un fossé entre des mondes qui dialoguent trop peu. Si peu de terrain commun entre leurs mondes, et le mien. Voir cela.

Les activités de Meinau Services disent quelque chose de l’ordinaire du monde d’aujourd’hui. Un angle mort, quasi invisible. Ce que les gens négligent. Ce que je cherchais à voir. La marche dans le quartier était une manière de s’amuser de cette situation absurde, les gens qui se débarrassent de leurs ordures par les fenêtres et la pénibilité du travail de ramassage que cela implique. Petite sismographe des angles morts de la vie d’un quartier.
La marche était accompagnée par les enfants des écoles de musique de la Meinau et du Neuhof. Elle s’est terminée sur un concert dans le parc Schulmeister, lors de la fête annuelle du quartier.
Telle a été la tentative. Depuis, je n’ai rien fait, je ne vois pas le sens d’inscrire tout ceci dans une galerie d’art, ou un musée.