C’est la vie // Commissariat avec Claude Allemand Cosneau // Kinshasa // 2008
Une exposition du FNAC (Fonds National d’Art Contemporain) à Kinshasa.
Commissariat : Claude Allemand Cosneau & Jc Lanquetin
13 juin > 30 juillet 2008 / Académie des Beaux Arts
Quelques notes autour de « C’EST LA VIE »
Comment aborder un projet d’exposition d’art contemporain dans une ville, Kinshasa, où l’on en a vu jusque à présent très peu, où les repères manquent, simplement parce que cela n’a quasiment pas existé jusque à ce jour, alors qu’il en existe constamment et partout en Europe. Ici, quasi rien, et l’absence n’en est que plus criante.
Il y a eu la « transition », comme disent les kinois, les événements politiques qui pendant 15 ans, jusque à ces dernières années, ont isolé le pays du reste du monde. Mais au-delà, cette question de la possibilité, ici en RDC (mais la question vaut pour le continent africain), de voir la création qui vient d’ailleurs se pose depuis toujours. Pour ne citer qu’un exemple, il y a eu durant l’époque coloniale belge et même après « cette idée de protection d’un art indigène qu’il faut sauvegarder à tout prix de l’influence européenne » (v. Sabine Cornelis, Naissance d’un Académisme, in Anthologie de l’art africain du XXème siècle). Bien évidement les principaux intéressés, les créateurs congolais en étaient exclus. Le refus de la libre circulation de la création contemporaine entre l’Afrique et l’Europe a toujours existé, fondé sur des logiques de différence, d’authenticité, de protection, d’éducation.
On pourrait dire aussi au vu des difficultés actuelles de la RDC, que le manque de structures et de lieux permettant des expositions dans de bonnes conditions a contribué à la difficulté. C’est certes une raison, mais c’est oublier un peu vite que cela n’a pas toujours été le cas. A une époque pas si lointaine, le Zaïre de Mobutu, des lieux ont existé (à commencer par l’Académie des Beaux Arts où aura lieu l’exposition), capables d’accueillir des événements venant de l’extérieur. Mais là aussi l’époque n’était pas à la circulation ouverte des pratiques artistiques contemporaines. En fait, il semblerait que montrer la création dans sa différence, sa diversité, d’où qu’elle vienne, ait toujours fait débat, et n’ait jamais été une priorité dans l’histoire des relations « nord-sud ». C’est donc par bribes, filtrée, voire censurée, qu’elle est arrivée jusque à Kinshasa.
L’idée qu’un certain isolement serait nécessaire trouve aujourd’hui encore un écho en Rdc. Il s’agirait de se protéger d’influences trop fortes, hégémoniques et invasives venant d’Occident, afin de faciliter l’émergence de pratiques singulières alternatives, ou de retrouver des repères face à ce qui est perçu comme le modèle dominant de l’art international sans percevoir que le dit modèle, certes très puissant, est bien loin d’être monolithique. Et que la question n’est pas aussi simple dans un monde ou en fait des échanges ont toujours existé, dès avant l’époque coloniale.
Si l’on peut comprendre ces craintes, surtout pour qui cotoie régulièrement les artistes kinois, leurs histoires et leurs enjeux, peut on au nom de cela préférer l’isolement ? Car dans le contexte d’une ville constamment traversée, à tous les niveaux (pas seulement culturel), par ce qui vient de l’extérieur, comment fait-on lorsque l’on est un jeune artiste, pour se construire une culture du regard, de l’expérience et du cotoîement concret des oeuvres et des idées, comment se construit-on une culture de l’échange si elles n’arrivent pas jusque à Kinshasa ? La seule alternative est-elle de voyager pour voir des expositions, des musées ? Mais le peut-on seulement dans un contexte où la question des visas est omniprésente, sans parler des moyens financiers ? Faute de le pouvoir, internet suffit-il ? Les artistes sont nombreux, d’une réelle singularité, une nouvelle génération émerge. Et ils expriment depuis quelques années, notamment à l’Académie des Beaux Arts (l’un des lieux qui les rassemble), une grande avidité à l’égard des pratiques actuelles de la création dans le monde (et pas seulement venant d’Europe).
Il est difficile de défendre le fait de ne pas montrer pour qui connaît les pratiques artistiques à Kinshasa, leurs liens avec l’espace urbain, la vie, le vécu des gens, tout ce qu’il y a autour de soi et fait fortement question, et que les artistes intègrent dans leur pratique. Mais aussi les liens avec les traditions, ce qu’il en existe, ce que l’on cherche à en faire perdurer, à en retrouver… Et simultanément, la manière de s’emparer de tout ce qui arrive de l’extérieur, sans toujours savoir précisément à quoi cela correspond, mais en s’en débrouillant. Au delà de tous les débats, des méandres de l’histoire, au delà des déséquilibres réels ou supposés, c’est l’accès le plus divers et durable qui permet à chacun de se situer, de se nourrir, de choisir. C’est la régularité et la diversité des propositions, des échanges qui compte. Il en est ainsi aussi à Kinshasa, par ailleurs une ville mondialisée qui n’a rien à envier aux villes apparemment mieux connectées avec le reste du monde.
Ce n’est pas une exposition qu’il faut, c’est régulièrement, des expositions. C’est inscrire, de manière conséquente et régulière des propositions artistiques, et cesser de tenir Kinshasa et la RDC pour un lieu à l’écart. Peut-être ainsi les impressions de décalage à propos de création et nombre de débats inutiles à propos de l’Afrique cesseront-ils.
Réfléchir au dispositif de monstration de « C’est la vie » est cependant important. L’isolement génère des courts circuits, des raccourcis dans les pratiques d’artistes. Ils peuvent être intéressants, porteurs de fulgurances et d’intuitions, mais pour autant il est difficile de s’en contenter et d’oublier d’être attentif à la manière d’échanger autour de ce qui est avant tout une proposition singulière, une vision possible parmi de multiples autres, dans un contexte ou tout (ou presque) en matière d’art contemporain dans sa diversité est encore nouveau, en tout cas récent. Comment faire que cette exposition ne soit pas prise comme modèle ?
Se pose aussi la question de la manière de toucher les gens, d’aller au devant des publics, la question des lieux et dispositifs de monstration, des formes du dialogue et de l’échange. C’est l’une des questions sous jacente d’un tel projet.
Nous avons choisi de parler de la manière dont des artistes, en France, parlent de leur vie, la filment, la dessinent, la mettent au centre de leur travail de création, selon des modalités très différentes, mais avec cette constante qui fait lien dans l’exposition : leur vie, qui prend la forme, souvent, de leur quotidien. Or c’est une chose qui peut se partager assez simplement, à partir de la curiosité de la vie des gens dans un autre endroit du monde par exemple. Et les jeunes artistes kinois, j’en parle plus haut, parlent constamment de leur vie, elle est au coeur de leur pratique, certes d’une manière différence de ce que les Bartolomeo, Mrejen… font. Mais peut-être est ce là un point d’entrée. La forme que l’on donne à sa vie dans une pratique d’artiste, la manière dont on regarde le monde qui nous entoure et dont on en témoigne. En tout cas c’est le pari de cette exposition.
Jean Christophe Lanquetin