![Epique [Pour Yikakou] // Nadia Beugré](http://jiceehell.net/wp-content/uploads/2025/05/Nadia1-640x360.jpg)
Epique [Pour Yikakou] // Nadia Beugré
Direction artistique et interprétation : Nadia Beugré // Interprétation et musique live : Charlotte Dali, Salimata Diabate // Dramaturgie : Kader Lassina Touré // Scénographie : Jean-Christophe Lanquetin // Musique originale : Lucas Nicot // Direction technique et lumières : Paulin Ouedraogo // Responsable de production : Virginie Dupray //Production : Libr’Arts // Coproduction : Kunstenfestivaldesarts, Charleroi danse, Montpellier Danse, Festival d’Automne à Paris, Theater Freiburg, Centre chorégraphique national de Caen en Normandie dans le cadre du dispositif Accueil Studio/ministère de la Culture, ICI Centre Chorégraphique National de Montpellier Occitanie dans le cadre du programme artiste associé.
Première au Kunsten Festival des Arts – La Raffinerie / Charleroi danse, le 9 mai 2025. Puis Montpellier Danse, Festival d’Automne, Spielart Munich, Tanz in August Berlin, Kazern Bâle, Vidy Lausanne, Impulstanz Vienne…
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Un petit buisson et une tache de Kaolin avec quelques traces de pas. C’est la scénographie d’Epique.
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Yikakou
Juillet 2024. Nadia s’en va en terres d’enfance, à la recherche de Yikakou, le village de son père.
À la recherche…, car Yikakou, littéralement « Viens mourir ! » tel un défi lancé à quiconque oserait l’attaquer, et craint pour la force et le courage de ses habitants, n’existe plus…
Autre Macondo 1 perdu dans les mémoires, Yikakou a été avalé par la forêt et quelques sorts jetés au détour d’une ou deux disputes. Mais s’y murmurent toujours les histoires de ceux et celles qui sont partis, vers la ville, vers les villages alentour. Les histoires de ceux et celles qui sont resté·es, laissé·es sous les arbres. Car sur ces terres, on enterrait les siens au fond des parcelles, aux côtés des vivant·es.
Une route de terre rouge, un ciel laiteux, des papillons et du vert partout, le village le plus près est à quelques kilomètres…
Une indication au téléphone, la maison et les tombes seraient derrière le tronc d’un grand fromager… On revient avec des bras et des machettes, ceux de quelques membres de la famille qui vivent dans le village voisin. Au bout d’une heure ou deux apparaissent les premières tombes, celle du grand-père, faisant face à la route comme les autres tombes du village, celle du père tournée vers la Mecque, puis la grande maison, une des rares maisons en dur du village. Des bananiers fissurent le béton de grands éclats verts. Nous restons sur le seuil…
La corde doit se relier à quelque chose…
Retrouver le village, c’est retrouver le chemin, la route, l’autre bout de la corde pour éviter qu’elle nous file entre les doigts. Retrouver le père, figure complexe, révérée, retrouver l’aïeule, celle qui a légué à Nadia son second nom, Gbahihonon, la « femme qui dit ce qu’elle voit ».
Femme au puissant caractère, détentrice des savoirs, Gbahihonon, se souvient-on, protégeaient la petite communauté contre les attaques, qu’elles soient physiques ou mystiques, et savait prédire le destin des nouveau-nés.
Retrouver aussi à travers ces récits des femmes de la famille, ces figures fondatrices souvent méconnues, qui, dans l’ombre des mémoires, firent et défirent empires et lignées, telle Dô-Kamissa. Femme déjà vieillissante, lésée par son frère, elle se transforme en buffle pour ravager ses terres. Femme-oracle, c’est elle qui habilement impose le mariage du roi, Naré Maghann Konaté, avec Sogolon Kandé, femme laide et bossue, double de Dô-Kamissa, elle aussi associée à la figure de la femme-buffle. De cette union singulière naîtra Soundiata Keita, et l’épopée qui a traversé les siècles.
Une scène-territoire…
Le plateau devient terrain de mémoires, d’explorations, jonché des essuies-tout en papier « Lotus » qui épongent les fronts en sueur, sali par le kaolin et le karité comme autant de traces, de cicatrices des désordres d’une vie…
Le village s’y installe, les absent·es y prennent place, y résonnent les jeux de l’enfance, les rumeurs du quotidien, les bruits de la forêt, les soupirs de la nuit de noce du roi et de la femme laide, les premiers désirs…
Habitée par ces voix, entre mémoires collectives et souvenirs intimes, Nadia s’entoure de Salimata, l’une des rares joueuses de balafon au Burkina Faso, et Charlotte, chanteuse ivoirienne de Zouglou, porteuse des quotidiens et des histoires d’Abidjan.
Tour à tour complices et témoins, bousculantes et bousculées, transformées, les trois femmes s’engagent dans ce voyage incertain, épique…
Virginie Dupray, avril 2025
1 Macondo est une référence à la ville fictive décrite dans le roman de Gabriel García Márquez Cent ans de solitude [ndlr.]